Passer de la ville à une île [priorité à Rosa]

[Rien que pour toi, Citlãlin dans toute sa splendeur ! Very Happy

]

Le bruit des mouettes, le bruit du vent, le bruit des vagues, le bruit des crabes écrasés sous le pied de Citlãlin. Un par un il les anéantissait, se délectant de leurs carapaces qui se brisaient sous sa lourde chaussure chutant sur eux comme un couperet sur un condamné à mort. Les oiseaux piaillent et s'abattent parfois sur une fraiche carcasse d'un des cuirassé marin terrassé par la santiag du jeune homme, qui en ce frais début de soirée grelotte, trempé de la tête jusqu'au pieds. On lui avait dit de venir ici. Il y était. Ou plutôt, on l'y avait forcé. Citlãlin était arrivé le matin même sur une île avoisinante, plus peuplée que celle-ci, et bien plus vaste semblait-il. Pas de répit, pas de temps pour lui, et à peine sorti de l'aéroport qu'il longeait le port à la recherche d'un bateau qui accepterai de le trimballer jusqu'à son point de rendez-vous. Un homme, à la peau tannée, s'était proposé. Il s'était dirigé tout droit vers lui et n'avait pas même demandé de rétribution. Ah, s'il avait fait plus attention ! C'était plutôt suspect mais il n'a rien vu, trop pressé.

C'était la première fois qu'il voyait la mer, Citlãlin. Cela le dégouta plus qu'autre chose. Tous ses cadavres de poissons, tout ce sel dans cette eau, tous les déchets qu'il devait y avoir ! Non, la mer ne l'attirait pas. Il s'était attendu à de grandes immensités bleues comme on voit sur les cartes postales mais quand on quittait la port, on voyait au loin une épaisse fumée partir de la ville ternir le ciel bleu qui surplombait l'océan. Le marin ne pipait mot et le gangsta n'avait pas non plus très envie de parler. Exténué, il avait même fini par s'endormir dans le bateau du pêcheur et se réveilla au milieu des crabes. Passer d'un bateau à du sable plein de crabes. Il s'était fait avoir, en beauté ! Lui, lui ! Fébrile, son premier réflexe avait été de fouiller dans ses poches. Son porte-feuille était toujours là. Mais son sac, évidemment, était resté dans le bateau. Et le bateau, envolé ! Autour de lui, comme surpris par son réveil, les crabes se stoppèrent. Citlãlin en saisit un et le mordit aux pattes, puis en un cri de douleur, l'envoya valser au loin. Du sang coulait de sa lèvre inférieure, griffée par la carapace ambulante. Alors, hargneux, ses pieds s'abattirent sur les semblables de celui qui avait osé le blesser.

C'était la première fois qu'il voyait un crabe autre que sur les étals d'un poissonnier.

Son jeu dura longtemps. Plusieurs heures. Il se mit ensuite à courir après les mouettes, à aller chasser les poissons dans la mer, sans même se déchausser. Ses vêtements alourdis par l'eau, épuisé, sa colère finit par laisser place à la morosité. Où était donc caché son enregistrement ? Enterré dans le sable, caché parmi les arbres ? Et que voulait Mr. O ? Sa peau ? Sa vie ? Personne d'autre que lui n'était présent sur la plage. Personne. Seul. Perdu. Fatigué, affamé. Marchant sans savoir ce qu'il cherchait, Citlãlin longea la plage, plusieurs fois. Pas de barque ! L'individu commençait à paniquer. Il fut prit de spasmes, se mit à pleurer, puis vomir, comme à chaque fois qu'une émotion trop forte venait à lui tordre l'estomac. Le soleil déclinait rapidement, et le froid de la nuit s'installait. Les mouettes s'en allèrent, les crabes restèrent. Les vagues affluaient, tranquillement, léchant les bottes de cuir du grand enfant, qui à chaque haut le cœur avait l'impression de s'étouffer, hoquetant et respirant difficilement.

A quoi bon continuer de marcher ? Chacun de ses pas était un effort titanesque, ses jambes flanchaient et sa tête tournait. Alors il tomba sur le sol, vaincu, sur le sable mouillé, face à la mer, dégobillant plus qu'il n'avait mangé. Une main sur son cœur et l'autre s'enfonçant dans le sable tendre, il finit par se calmer, ou plutôt, son estomac n'ayant plus rien à recracher, s'arrêta là. Citlãlin essuya vainement les larmes qui coulaient sur son visage, et regarda vers le ciel où, déjà, brillaient quelques étoiles. A quoi bon ? Tout était vain. Allait-il crever ici, et être ensuite dévoré par les crabes ?

Le long de son menton coulait encore un fin filer de sang, et la mer, comme une mère attentionnée, lava le sable des crachats du malade. Où était donc Mr. O ?

« Pourquoi ici ? »

Plus une plainte qu'une véritable question, Citlãlin, accablé, observait l'océan se déroulant vers l'infini, n'osant regarder derrière lui les arbres qui cachaient le reste de l'île. Il n'avait plus faim à présent. Juste horriblement froid et mal au cœur. Pourquoi donc s'acharner ainsi sur lui ? Il voulait rentrer dans sa cité... Il sait très bien se débrouiller, là-bas ! Mais une palge, une plage... Pire qu'une jungle sauvage.

[Trop aimable ^^ ! Une réponse pas vraiment fun, mais bon, j'ai la cervelle embrumée ^^ !]

Il faisait beau ce soir-là. Les rares nuages prenaient irrémédiablement une couleur rosée, plus claire que celle du ciel. C'était ce ciel dorée et rouge que fixait Rosa. La réalité avait encore de la peine à parvenir jusqu'à ses neurones. Chaque fois que cette fameuse pensée aiguillonnait sa matière grise, son cœur semblait remonter jusqu'à sa gorge et elle se sentait alors trop mal pour laisser la réalité pénétrer son esprit. Mais ce soir-là devant le ciel cotonneux, elle ne pouvait pas s'empêcher de se poser des questions. De réfléchir. Et la vérité la frappa de plein fouet. Elle était morte. Morte. Morte. Ce fut comme si un pieu s'enfonçait dans sa poitrine. Le mot résonnait au fond d'elle. Morte.

Elle enfonça ses pieds dans le sable froid, qui coula entre ses doigts de pieds, peu soucieuse des larmes de douleur qui coulait sur ses joues satinées. Quelle horreur ! Elle n'était plus vivante. Elle ne vivrait plus jamais. C'était fini. Rosa était assise sur la plage, face à la mer, ses cheveux blonds voletant autour d'elle comme un halo doré. Mais elle n'avait rien d'un ange. Un rictus douloureux transforma son visage, sans l'enlaidir pour autant. Alors qu'un sanglot voulait s'échapper de sa gorge, elle se reprit. Brutalement, Rosa se releva, et se mit à marcher d'un pas furieux et dynamique. Bon sang, elle ne voulait pas y croire. Elle ne pouvait pas y croire.

"C'est pas une preuve que je suis vivante, ça ?!"

Hurla-t-elle au ciel en avançant dans les flots de plus en plus agités. La mer trempait son short et sa chemise, et elle sentit bien l'eau la heurter. Après tout, elle ressentait le froid, elle ressentait l'humidité, elle sentait le vent sur son visage, le sel sur ses paupières. N'était-ce pas une preuve qu'elle n'avait rien d'un fantôme ? L'eau lui arrivait à la taille, à présent, mais elle ne voulait pas s'arrêter. Un paquet de mer qui lui atterrit sur le crâne la dissuada cependant d'essayer de mourir. A cette pensée, Rosa explosa d'un rire nerveux. A quoi bon ? Elle était déjà morte ! Autant renouveler les expériences dangereuses, puisqu'elle ne risquait rien ! D'ailleurs, le fait de boire la tasse ne la fit même pas suffoquer. Respirait-elle seulement encore ? Rosa ne creusa pas la question, se rattachant désespérément à tout ce qui la rattachait encore un peu à une existence humaine. Ce fut ce qui la poussa à retourner en arrière.

Lorsqu'elle atteint le rivage, Rosa ruisselait d'eau de mer. Ses cheveux blonds collaient disgracieusement à son visage, mais elle s'en fichait. A quoi bon l'apparence, qui se préoccuperait d'un fantôme ? Même en étant sublime, elle ferait peur. Elle se faisait peur à elle-même. Elle s'allongea sur la plage et somnola. Le sable la grattait, collait à son dos, à ses bras. Au bout d'un moment elle soupira et se releva, comme un chat l'aurait fait et recommença à marcher le long de l'écume.

Soudain, elle sursauta. Au loin une silhouette déchirait le ciel de plus en plus sombre. A force d'être sur cette île de malheur, Rosa connaissait chacun des habitants, et cette silhouette-là... Cette silhouette-là ne le disait absolument rien ! Rien.

*Un nouvel arrivant ?*

Ou un autre malheureux fallait voir. Un autre mort, aussi. Autre possibilité. Elle haussa les épaules et avança en direction de la silhouette. Rosa, bien que morte, ne perdait pas son caractère. Elle était curieuse, tout simplement. Et puis songer au malheur d'un autre l'empêcherait peut-être de songer aux siens. Ou pas. En tout cas, la jeune femme fut bientôt assez proche pour entendre le gémissement du jeune homme - car comme sa silhouette le supposait, l'individu était bien de sexe masculin. Pourquoi ici, hein ? Personne ne le savait. Le vent se leva soudain, soufflant dans le dos de Rosa. Malgré tous les bons sentiments qui l'animait, sa voix ne put sortir chaleureuse. Elle était vaguement ironique peut-être. Plutôt sans âme.

"On se le demande tous. Mieux vaut ici qu'au pôle nord."

Rosa n'entendait même pas sa propre voix, tant elle se sentait ailleurs. Elle ne savait même pas ce qu'elle disait. A quoi bon réfléchir, quand on est mort ?

[Tout me convient, je ne suis pas compliqué n_n (et pas assez sage pour oser me plaindre =A=)]

Une voix, dans son dos, ne le fait pas même sursauter. Il ne se retourne pas à ses paroles, plante ses griffes dans le sable, en arrache deux poignées et les lance au loin, comme si c'était des pierres et la mer un humain à lyncher. Le pôle nord ! De la glace, la vent, le froid. Si, mieux valait le pôle nord ! Il s'y sentirait infiniment mieux. La mer, source de toute vie ! La glace elle, la détruit. Un néfaste sanglot agita son dos.

« J'aurais préféré le pôle nord, moi. »

Un crabe s'approcha. Sans se méfier de ses pinces, l'homme le souleva, le retourna et planta ses doigts dans son ventre mou. Un instant, le crabe s'agita, claquant de ses grosses pinces malhabiles qui faiblissaient en même temps que sa vie s'écoulait. Sans attendre que le crabe soit complètement vidé de sa vie, Citlãlin ferma ses mains dessus, le détruisant en mille morceaux. Les entrailles du crabe coulèrent entre ses doigts et les morceaux de carapace, coupant, entaillèrent la puissante main du gangsta, mêlant son sang aux entrailles fumantes du crustacé.

« Je déteste la mer ! Je n'aime pas le sable ! J'exècre le poisson ! »

Il étala les morceaux de sa proie massacrée, comme un artiste peignant un horrible tableau. Un deuxième sanglot le fit trembler. Citlãlin n'osait se retourner. Bien que chez lui les crises de larmes étaient fréquentes, personne ne devait le voir dans cet état, et surtout pas une femme ! La voix qui s'était adressée à lui était bien féminine, pas de doute dessus. La mer continuait de venir mousser à ses pieds. Le voilà reparti ! Les larmes se succédèrent les uns aux autres. On aurait pu penser à un pauvre homme, si on exceptait le cimetière de crabes qui l'entourait.

« J'aurais préféré le pôle nord, moi. Pas de sable, pas de crabe. »

Sa voix se brisa comme il avait brisé la carapace du cuirassé marin.

« Je chiale comme une nana, en plus. »

La pire insulte pour lui : en arriver à se comparer à une femme. D'une main rageuse, il étale sur son visage ses larmes amères comme la mer qui s'étale devant lui, pleines d'un sel qui assèche sa peau. Le silence revient sur la plage et seul le bruit du vent dans les arbres trouble la quiétude des lieux, en un brillant concert avec les vagues houleuses de la mer. Le froid, troisième acteur de cette scène rocambolesque, s'immiscera entre eux, les éloignant encore un peu plus.

Rosa frissonna. L'individu était tout simplement effrayant. Mais ce qui faillit lui faire perdre son impassibilité, ce fut lorsqu'il tua le crabe. Incapable de détourner son regard bleu de la carapace vide de ses viscères, Rosa serra le poing jusqu'à ce que les jointures de sa main blanchissent. Elle n'avait que trop bien compris le véritable pris de la vie. Certes, la petite vie qui s'écoulaient sous ses yeux n'était que celle d'un crabe, mais elle avait tout de même une valeur, non ? Détournant son attention avec peine du cadavre, la jeune femme tourna les yeux vers la silhouette pliée du nouvel arrivant. Il ne manquait plus qu'une pelle et un sceau pour que Rosa eut l'impression de voir un enfant. Sauf que "l'enfant" était trop grand, et que ses jouets étaient couverts de sang. Et pourtant il devait à voir l'âge de Rosa. Peut-être un ou deux ans de plus. Pas moins. Et pourtant la blondinette croyait voir un gosse d'une vingtaine d'années de moins qu'elle.

L'attention de Rosa glissa sur les remarques à propos du temps. Elle s'en fichait, qu'il aime les pingouins ou non, il n'en était pas moins troublant. D'ailleurs, Rosa se demandait vaguement comment de telles banalités puissent sortir de la bouche d'une personne qui, elle le sentait, changeait franchement de l'ordinaire. En le regardant, Rosa avait l'impression d'être devant la télé. Elle assistait sans participer. Transparente. Comme un fantôme. La réflexion la fit réagir et son sursaut fut plus marqué que les précédents, et elle fronça son joli nez. Vite, vite, penser à quelque chose de banal, détourner son esprit de tout ce qui la rapprochait de son nouvel état. Dire n'importe quoi. Quelque chose de stupide, même. Peu importait. Les mots sortirent tous seuls, sans aucun sens pour elle.

"Comme une nana, hein ? Je ne me souviens pas avoir pleuré en arrivant ici..."

Aïe. Mauvais choix. Elle avait pleurer depuis. Avant sa mort. Au moment de sa mort. Après sa mort. Une minute avant la scène qui se déroulait à présent. Autre chose. Une autre réflexion. Le coeur de Rosa s'affola, dans une étrange impression d'urgence. Elle sentait les réflexions planer dans un coin de sa tête. Sombre et menaçantes. Insoutenables. Son regard azur dériva vers les restes du crabes. Et sa fureur monta d'un cran. Qui était cet artiste grossier qui utilisait un cadavre pour créer son oeuvre ? Rosa s'abstint de réfléchir, et sa voix retentit, après une accalmie du vent qui faisait tourner ses cheveux autour de sa tête et soulevait les pans de sa chemise, révélant les reliefs de son ventre.

"Le prix d'une vie... Pas facile à saisir, hein ?"

Il semblait à Rosa qu'un gnome invisible arrivait soudain avec sa pelle pour creuser un fossé plus grand encore entre l'inconnu et elle. Poussée par sa froide colère, il ne suffit que d'un pas le franchir. Un grand pas, à la suite duquel, son pied nu faillit toucher les restes du crustacé. Comme en réponse à ce geste, la mer eut soudain un soubresaut et une vague monta plus haut que les autres sur la plage. L'écume grimpa jusqu'à eux avec une volonté féroce et emporta le sinistre tableau. Rosa eut un sourire bizarrement démoniaque. Ce déni de la vie qu'elle croyait sentir la mettait hors d'elle.

"Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas à toi de décider... De décider si le prix est insuffisant pour que la vie continue."

La colère tremblait, vacillante au fond de sa voix, une espèce de feulement rauque qui occupait sa gorge et menaçait de se muer en un rugissement à tout moment.

Oui, comme une nana. Elle n’avait pas pleuré, elle ? Elle n’avait pas fondue en larme en arrivant ici ? Il eut un haussement d’épaules. Certaines femmes sont si peu humaines qu’elles ne pleurent pas. Pour Citlãlin, rares sont les êtres de sexe féminin qui atteignent en son cœur le rang d’être humain. Qu’elle n’ait pas pleuré à sa venir sur cette île était pour lui une preuve suffisante qu’il était en compagnie du genre de femmes qu’il connaissait encore plus : celles qu’il dénigrait parce qu’elles osaient se croire forte. Et si elle avait avouer s’être mise à pleurer ? Il s’en serait moqué et aurait rétorqué une quelconque méchanceté.

« Alors tu n’es pas humaine, car tous les hommes pleurent. »

Il eut un léger rire. Les femmes ne pleurent que pour mieux tromper. Elle a raison, il ne chiale pas comme une nana. Il chiale comme un homme, c’est tout. Le carnage théâtral du crabe sembla déplaire à la jeune femme, qui s’avança tout à coup, surprenant Citlãlin dans son travail d’artiste. Le prix d’une vie ? De quoi parlait-elle ? Une vie n’est pas cotée en bourse, qu’il sache… ce qui ne vaut pas d’argent ne vaut rien, par ici ! Interloqué, Citlãlin tourna sa tête vers elle, dévoilant ses grands yeux verts, noyés de larmes, sa lèvre où encore perlait quelques gouttes de sang, plaie que le sel marin empêchait de cicatriser. Sa main encore dégoulinait de morceaux de crabe, comme s’il s’agissait du sang d’un meurtre. Pour l’inconnue, ce qu’il venait de faire était bien un meurtre.

Il la regardait, avec ses cheveux blonds entourant son visage candide. Aucune blague sur ses cheveux de blés ne lui vint à l’esprit et un sourire naquit sur ses lèvres. Elle n’était pas en haillons, semblait bien portante… Alors soit elle avait un bateau, soit un havre de paix civilisé existait par ici ! La perspective de trouver en ville fut pour lui un soulagement, et ses larmes petit à petit, cessèrent. Machinalement, il tendit le bras pour saisir un autre crabe, et ne lâchant pas les yeux noirs de celle qui le grondait comme s’il était un enfant, il retourna la bête impuissante et d’un coup sec brisa le petit être en deux. De son abdomen s’écoula de nombreux œufs et, avec un léger rire, Citlãlin porta à sa bouche le cadavre encore tout chaud et attrapa de sa langue les œufs qui s’échappaient. Un goût salé, comme la mer.

« Les plus faibles meurent. Les plus forts vivent. »

Le crabe cessa de s’agiter. Citlãlin Coupa en deux le crustacé. Sa chair jaune et blanche apparut alors et Citlâlin la huma, ses yeux perçants guettant le moindre geste de l’inconnue. Serait-elle terrorisée ? Allait-elle s’évanouir, se mettre véritablement en colère, le frapper ? S’enfuir ? Ah, les femmes ! Jamais Citlãlin pourrait s’en passer. Oui, il les haïssait. Parce qu’elles lui étaient tant lointaines, parce qu’il n’arrivait pas à les comprendre ! Pourquoi elles étaient ainsi ? Pourquoi les protégeait-on ? Elles et leur langue de vipère. Pourquoi tant d’hommes mourraient pour elles ? Et pourquoi elle, ne pleurait pas ?

« Les crabes aussi n’ont pas de larmes. »

Une dernière larme coula sur sa joue.

Toutes les affirmations de l'inconnu lui heurtèrent quasi physiquement la poitrine, coupant son souffle. Ce qu'il avait affirmé en premier était strictement vrai. Elle n'était pas humaine. Elle n'était qu'une ombre insipide. Une coquille vide. Rien de plus. Rien de moins. Coincée sur cette île, n'ayant aucune certitude que cette seconde vie perdurerait en dehors du cadre à présent privilégié de l'île. L'injustice de sa mort fut d'un seul coup plus évident qu'elle ne l'avait jamais été. Rosa fit un pas en arrière, aussi matériellement que physiquement. Elle ne voulait pas s'aventurer sur ce terrain. Mais la seconde réflexion du jeune homme lui coupa toute retraite. Faible ? Non. L'hôtesse de l'air n'avait jamais été faible. Elle avait toujours tenue sous les coups durs de la vie. Elle n'avait jamais rechigner à grandir, évoluer, n'avait pratiquement jamais pleurer sur son sort. Alors, non, les forts n'avaient pas plus de chance de survivre que les faibles. Tout était une question de hasard.

Mais l'attitude inébranlable du jeune homme, sa voix qui ne souffrait aucune réplique, la troublèrent. Et si elle avait été faible, en réalité ? Si ce qu'elle avait pris pour de la force, n'était en vérité que poussières. Si toute sa vie n'avait qu'une succession d'évènements inutiles, parce qu'elle n'avait cessé de se mentir ? Son regard se perdit dans le vague. Quelle horreur ! Si ça ce trouvait, elle n'était qu'une petite crotte de mouche dans sa propre vie ? Les épaules de la jeune femme s'avachirent. Qui était ce jeune homme pour remettre en doute tout ce en quoi elle avait cru, hein ?
La colère monta d'un cran, mais la jeune femme ne put retenir sa tristesse. Elle sentait les larmes affleurer sous ses paupières, lui brouiller la vue.

Elle refit le pas qu'elle avait effectué en arrière en avant. Non seulement ça il l'énervait parce qu'il était monstrueux, mais elle le haïssait encore plus parce qu'il semblait avoir raison. Du moins son affirmation donnait un sens à sa mort. Rosa était faible, elle était morte. Comme le crabe. Point à la ligne. Point de mystère. Point de hasard. La jeune blondinette secoua la tête comme pour chasser une mouche agaçante. N'importe quoi ! Elle n'était pas faible. Et de toute manière, même les plus forts finissaient par mourir. Mais l'affirmation de l'inconnu tournait dans sa tête, l'empêchant de l'éloigner. Trop rapide pour qu'elle ne réussisse à l'attraper pour l'anéantir.

Rosa avança le menton, en partie pour l'empêcher de trembler, en partie parce qu'elle était en colère, en partie parce qu'elle avait peur. Bref, pour plein de raisons en fait. Presque malgré elle quelques larmes s'échappèrent et perlèrent à ses cils, coulant sur ses pommettes sans sanglots ni sans heurts, quasiment invisibles. Elle jeta à la figure de l'homme ces quelques mots, dans lesquels elle mit toute sa conviction, toute sa force, sans se rendre compte que pour lui, cela n'aurait sans doute pas le bon sens :

"C'est faux ! C'est faux ! Je n'étais pas faible ! Pas faible du tout ! C'est du hasard, c'est tout, c'est tout, c'est tout !"

Citlãlin ! Tout juste bon à faire pleurer les filles. Son sourire s’élargit, triomphant, en la voyant reculer, avancer, et les larmes perler et couler de ses yeux. Elle pleurait ! Tremblante de rage et paniquant ! Une femme, une femme ! Une simple femme qui avait osé se dire forte ? Il lâcha le crabe, et essuya ses mains sur son pantalon. Lui avait toujours raison ! Lui était fort. Elle était faible. Il se mordit la main, la contempla un instant avant de prendre la parole, en riant.

« Ah ! Je croyais que tu ne pleurais pas ! »

Elle était si proche de lui à présent ! Il n’avait qu’à basculer un peu en avant pour saisir ses jambes, poser sa tête sur ses cuisses… A peine cette pensée lui traversa l’esprit qu’il le fit. Le pantalon de l’inconnue était trempé et râpait sur son visage, plus que le vent de la mer ne l’avait déjà fait. Comme un enfant serrant les jambes de sa mère, il leva ses yeux vers elle. Son visage rayonnait de joie et ses lèvres s’étiraient, jusqu’à dévoiler ses dents blanches. C’est lui qui avait raison ! C’était de vraies larmes qui coulaient sur le visage de la demoiselle. Rien que cette pensée fit de nouveau éclater son rire, secouant ses larges épaules.

« Tu es faible. »

Il la serrait si fort que si elle le voulait, elle ne pourrait défaire son étreinte, lien incassable. Ces muscles sont puissants, son esprit est sans faille. Il est fort ! Citlãlin était triomphant. Ah, le doux parfum de la victoire ! Le jeune homme avait vaincu l’inconnue. A présent, elle n’avait plus le droit de rien faire sans son accord. C’était son jouet. Il l’avait eu. C’était son oiseau. Il l’avait attrapé. Les paroles de la jeune femme n’avaient pas eu de grand sens, mais il n’y prêta pas attention, et ne retint que ce qui lui plaisait. Je n’étais pas faible. A présent, elle l’était ! Parce qu’il était solide, lui. Résistant, robuste. Plus qu’elle. Le plus faible se soumet au plus fort.

« Le hasard est injuste. »

Toujours ce même ton euphorique. Il enfouit son visage dans les jambes de sa proie, qu’il avait si bien su ferrer. Elle sentait la mer, comme les crabes.

« Je t’ai vaincu ! »

Ses bras se serrèrent encore, à lui briser les os. Puis il cessa de bouger, soudain inquiet.

« Le hasard est injuste. Il n’y a donc pas moyen de s’échapper ? »

Parce que Citlãlin mérite de pouvoir s’enfuir ! Ce serait si juste, s’il trouvait une ville, un bateau, un avion. N’importe quoi pour s’en aller ! Mais le hasard est injuste. Alors il n’y aurait pas de ville, pas de moyen de partir ? Il releva la tête, desserra ses bras, et regarda la demoiselle, craignant sa réponse tout autant qu’il craignait avant les coups de son père. Il continuait à rire, nerveusement. A quoi lui servirait-elle sur cette île déserte ?

Si Rosa avait déjà connu une telle peur dans sa vie que celle que lui inspirait l'inconnu, cela était seulement durant quelques instants avant sa mort. Là où elle avait compris. Mais la situation présente était presque pire, parce que justement elle ne comprenait pas. Pourquoi avait il agrippé ses jambes ? Pourquoi avait il l'air si triomphant ? Tant de pourquoi pour si peu de parce que. S'en était bien trop déroutant. Rosa sentait confusément l'étreinte qui se resserrait sur ses jambes, mais elle n'éprouvait aucune douleur, aucune peur niveau physique. Ce qui logiquement était normal, puisqu'elle était morte. Donc elle ne risquait rien.

A cette pensée, un sourire dément éclaira le visage fin de Rosa. Elle ne risquait rien ! Il ne l'avait absolument pas vaincu. Le hasard s'en était chargé avant. Le vent séchait les larmes de Rosa, tandis que ses cheveux blonds repartirent dans une folle tornade. Mais ce fut la dernière question de l'homme qui déclencha son grand rire moqueur, ses éclats se joignant à ceux de l'inconnu. Partir ? Il songeait déjà à partir ? Le pauvre n'était pas au bout de ses peines. Rosa elle n'en ressortirait jamais. Condamnée à jamais sur l'île. Et elle souhaitait franchement, dans une soudaine poussée d'égoïsme, qu'il en soit de même pour tout le monde. Surtout pour ce mec qui se croyait le plus fort. Il allait tomber sur un os. En commençant par elle :

"Partir ? La belle affaire ! N'y songe pas. Moi j'y suis restée toute ma vie."

Elle baissa ses yeux bleus vers le gamin qui s'accrochait à ses jambes. Son rire se tarit, et un sourire tordu de compassion s'étendit sur ses lèvres avant qu'elle n'enchaîne :

"J'ai dit que je n'avais pas pleuré en arrivant. Je n'ai pas dit que je ne pleurais pas."

Elle releva la tête et son sourire se fit plus absent, plus insaisissable :

"Quant à me vaincre... Le hasard s'en ai chargé avant toi. J'étais faible, peut-être. Je ne le suis plus. La mort apporte une espèce de force, tu ne crois pas ? En tout cas, ce qui est sûr, c'est que tu n'es pas plus fort que moi. Tu ne peux plus me vaincre."

Pourtant Rosa n'arrivait pas à en tirer une quelconque gloire. Les larmes recommencèrent à couler. Le dialogue improbable auquel elle participait lui semblait aussi étrange qu'effrayant. Il n'avait aucun sens. Il était terrifiant. Sans doute à son image. Son image de fantôme.

[Fshouh, j'espère que cela ne donne pas trop n'importe quoi u_u' *galère toujours à jouer Citlãlin*]

Toute sa vie. Alors, n’était-elle plus en vie ? Interloqué, il se contenta de la regarder, sans pour autant se détacher d’elle. Un spasme nerveux agita son bras gauche, qui fut secoué de spasmes réguliers. On ne peut pas partir ? On ne peut vraiment pas ? Toute sa vie ? Et devenir quoi, par la suite ? Il l’écouta, sans rien dire. Elle se mit à rire, ses bras glissèrent sur ses jambes, lui rendant ainsi sa liberté. N’osant plus regarder l’inconnue, Citlãlin fixa l’horizon, au loin, détournant la tête du corps sans vie de la blonde. Il ne vit pas son sourire de compassion. Il ne voulait pas le voir. Sa main droite sortit de sa poche une plaquette de calmants et en avala trois. La dose prescrite était d’un demi cachet.

« Peux… peux pas. Tu. »

Il les mit dans sa bouche, et les avala difficilement. Citlãlin continua de l’écouter, mordant ses doigts. Sa main gauche se crispa sur ses vêtements, remontant son t-shirt, dévoilant légèrement le bas de son ventre. Il recommençait à sangloter, les genoux à terre. Il niait tout frénétiquement d’un hochement de tête, secouant ses cheveux alourdis de sel.

« Non… je n’aime pas la mer. Je… je ne peux pas… Rester. Partir. Je suis fort. Je dois l’être. Ah. »

Du sang coula de ses doigts. Il s’était mordu. La main toujours à la bouche, il ferma ses yeux et se mit à pleurer plus que de raison. Il s’écroula sur le côté, ramenant ses jambes vers son visage, en une étrange position fœtale. S’en était trop. Qu’est-ce qu’elle pouvait raconter ? Avant quoi ? Toute sa vie ? Sur cette île ? Son propre sang ruisselait sur son bras, tachant le sable. A n’en pas douter, il était complètement cinglé. Complètement désorienté. Il y a quelques secondes, il riait.

« Tais-toiiii. »

Il se mettait à saigner du nez, à présent. Son bras gauche était toujours agité de spasmes. Citlãlin était là, allongé à ses pieds. Aux pieds d’une femme. Il se releva à moitié, la regardant. Tous deux pleuraient. Non, elle ne devait plus pleurer ! Elle semblait être son propre reflet, aussi fou que lui. Pourquoi se mettaient-ils tout deux à pleurer ainsi ? Cette île était-elle donc tant détestable ?

« Je veux retourner chez moi ! »

Ici, il ne connaissait rien. L’inconnu fait tant peur !

« Tu mens, hein ? On peut s’en aller. Arrête de me faire marcher, je n’aime pas ça. J’ai peur moi. Arrête de mentir. Tu ne peux pas… Toi… »

Il n’arrivait pas à prononcer ce mot. Morte. Ce n’était pas possible ! Les morts ne peuvent revenir sur terre. Mais elle avait dit cela avec tant de sérieux. Et Citlãlin était si sensible ! Une personne normalement constituée aurait ri et aurait cru que l’inconnue se moquait de lui. Mais Citlãlin n’était pas une personne normalement constituée. Il était complètement hors du monde. Il se tordit un instant dans tous les sens, comme un damné, murmurant pour lui quelques paroles intelligibles. Sa main droite, hésitante, descendit de sa bouche vers ses poches, à la recherche du couteau qu’il portait toujours sur lui. Allongé sur le sable mouillé, ses yeux, petit à petit se reportèrent sur la demoiselle qui le surplombait.

« Tu n’as pas de sang, alors ? »

Il en était barbouillé. Sa main était passée sur son visage, sur ses vêtements, avait maculée le sable. L’écume vint lécher ses cheveux noirs, étalés en une funeste auréole autour de sa tête. Il joua un instant avec son couteau, toujours secoué par ses sanglots.

« Uh… on m’a dit que je risquais d’avoir des hallucinations. Tout ça n’est q’une hallucination, hein ? »

Un espoir. Etre si fou qu’il en aurait des hallucinations. Oui, c’est ça ! il était en plein délire ! Il rit et pleura, soulagé.

« Je vais te tuer, et tout redeviendra comme avant, okay ? »

Qu’elle dise oui ! Qu’elle ne sorte plus d’autre ineptie aussi sordides… Oh, non, les morts ne peuvent pas revivre ! Peut-être une erreur de langage de sa part ? Oui, sûrement ! Ou une folle création de son esprit ! Qu’est-ce qu’il avait peur que ses victimes reviennent sur terre le hanter et le faire souffrir. Il en rêvait souvent. Et en pleurait toujours autant.

Le plus étrange était que plus Rosa s'acharnait à vouloir faire comprendre à l'inconnu qu'elle était morte, plus elle prenait conscience elle-même du fait. Ce qui lui faisait plus que mal. ça la déchirait, la dévorait, la brûlait toute entière. Elle pleurait à présent vraiment. Elle porta ses mains son visage, et ses épaules furent agités de soubresauts. Elle était belle et bien morte. Elle avait fini sa vie dans une île pourrie, sans pouvoir dire au revoir aux gens qu'elle aimait. Ni à son père. Ni à sa mère. Ni à qui que ce soit d'autre que cela intéresserait. Elle restait tout de même connectée à la réalité. Tout ce que disait le jeune homme pénétrait dans son crâne, ses paroles aussi sûrs que tant de flêches enfoncées dans son crâne. Une impression absolument horrible.

Soudain, ses jambes ne la portèrent plus. Elle se laissa tomber à genoux près du jeune homme. Rosa approcha sa main du visage de l'inconnu, et repoussa, maternelle, les mèches de ses cheveux, afin qu'elle puisse clairement voir ses yeux. Ses larmes roulèrent dans son cou pour tomber sur le corps secoué de son compagnon d'infortune. Ses yeux glissèrent sur son visage, sur ses épaules, sur ses bras, puis allèrent se poser sur le couteau.

Vive comme l'éclair, elle le saisit carrément par la lame, le fil mordant sa chair. Mais aucune douleur ne la submergea, aucun flot de sang ne s'échappa de sa main blanche. D'ailleurs, alors qu'il aurait du lui entailler profondément la main, le couteau ne lui laissa qu'une fine marque blanchâtre. Elle était absolument invulnérable. Physiquement du moins. Un doute la submergea. Une chose qu'elle n'avait pas songer à vérifier auparavant. Mais d'abord...

Elle se pencha vers le jeune homme, et ses cheveux blonds allèrent frôler sa joue tandis qu'elle lui chuchotait à l'oreille.

"Tu ne peux pas me tuer... Je suis morte."

Rosa se redressa avec un sourire inquiet, et sa main commença à trembler. Le couteau glissa d'entre ses doigts et se planta dans le sable. Très lentement, elle leva la main droite et la posa contre son cœur. Qui ne battait plus. Les larmes reprirent leur flot. Elle n'avait plus de cœur. Plus rien. Alors pourquoi avait elle aussi mal ? Pourquoi était-ce si douloureux ? Elle enfouit son visage dans ses petites mains fines. Alors que mille sanglots la secouait, elle se mit à hurler :

"Morte, tu entends ! Morte !"

C'était bel et bien fini. Le poison de l'eau qu'elle avait bu l'avait effectivement tuée. Peu lui importait le reste. Qu'il pleure s'il le voulait, c'était le lot de tous les habitants de l'île. Ne plus avoir que ses yeux pour pleurer. Rosa, elle, n'avait même plus de coeur pour la réchauffer. Lorsque l'inconnu lui demanda s'il pouvait la tuer, ses larmes s'arrêtèrent un instant, et elle leva vers lui un regard compatissant :

"Si seulement tu pouvais me tuer... Je ne demanderai que ça... Mais c'est impossible, on s'en ai chargé avant toi."

Elle releva le visage et inspira un peu de l'air marin, qu'elle aimait tant. Son regard croisa celui du ciel qui s'assombrissait. Et elle qui croyait qu'il serait sa demeure éternelle. Mais non, elle était condamnée sur terre. En enfer. Soudain, sa poitrine se gonfla d'amertume. Que racontait elle ? Elle qui de son vivant, avait été si optimiste ! La mort ne lui arracherait pas son caractère, elle ne la détournerait pas de ce qu'elle était. Rosa devait se reprendre, c'était essentiel ! Bien qu'elle en ait eu conscience, c'était pour le moment trop difficile pour que cette bonne résolution commençât à l'instant. Elle soupira.

"Et non, tu ne rêves pas. Je suis bien là, toi aussi. Je m'appelle Rosa, et je n'ai vraiment rien d'un rêve. Ma vi... mort non plus d'ailleurs."

Le lapsus faillit la faire sourire. Mais non.

Mère d’infortune, là voilà qui sanglotant à ses côtés repousse quelques mèches égarées du front du jeune homme qui ne s’en rend pas même compte, tout comme les grosses larmes qui sillonnent la peau de la jeune femme pour venir s’écraser sur son torse trempé. Elle saisit la lame qu’il avait dégainée, mais elle ne se coupa. Pas d’hémoglobine, rien ! Citlãlin lâcha son couteau, suffoqué. Elle aurait dû être tailladée de long en large, sa main ! Mais le couteau se contenta de laisser une blanche trace, comme de la craie, sur sa main morte, sans sang. Lui ne pouvait plus bouger, ses larmes coulaient toujours, son corps était toujours parcouru de spasme, sa main toujours saignait. La demoiselle se pencha et doucement, lui susurra quelques mots à l’oreille.

Morte…

Et ses cheveux blonds qui sentaient si bon.

Ses larmes redoublèrent. Même un couteau ne servait à rien ! Lui qui avait toujours tout réglé grâce à la violence… Il pourrait tenter de la saigner, de lui briser les os, rien n’y ferait ! Elle mentait, elle mentait ! Elle ne mentait pas ! Elle voulait mourir, il voulait la tuer, mais pourquoi ils ne le pouvaient pas ? Elle regarda le ciel, et l’homme en profita pour s’éloigner légèrement, en rampant. Qu’elle s’appelait Rosa, qu’elle n’ait rien d’un rêve, il s’en fichait ! Il voulait quitter cette terre cauchemardesque. Il ne s’était déplacé que d’un mètre qu’il se mit à hurler. De peur et de malheur.

« Va t’en ! Va t’en ! »

Il criait, criait cette phrase jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de sens. Va t’en, mer ! Va t’en, terre ! Va t’en, Rosa ! Il se leva, la regarda, le regard perdu, regarda autour de lui, marcha à reculons, trébucha plusieurs fois, ses jambes tremblant. Son bras toujours agité de spasmes, les crabes toujours là. Quelques mouettes planaient dans le ciel. Maculé de sang, de bave, de morve, de larmes, de sable, d’eau salée, de sueur. Citlãlin reporta sa main à sa bouche, pleine de sang, pleine de sable. Il la regardait, en s’éloignant, gémissant, ses yeux de fous roulaient dans leurs orbites, grands, comme quand les acteurs surjouent la terreur. Elle devenait de plus en plus petite, mais ses larmes pourtant ne se tarissaient pas, ses jambes le portaient à peine, son souffle semblait l’étouffer. Il tomba, ayant glissé sur un crabe. Un cri lui échappa. La mer vint de nouveau le tremper.

« Rosa ! »

C’était la seule personne qu’il connaissait. Et étrangement, il en avait moins peur que la mer qui venait lécher son corps ramassé par terre. Il avait crié son prénom, par réflexe, alors qu’il était tombé. La mer, comme pour se moquer, lança une grosse vague qui l’engloutit tout entier et le traîna vers ses flots déchaînés et glacés. Il avait peur, très peur, et là, allongé dans la mer, lavé et frotté de sel, il continuait de pleurer, tout tremblant. La peur ! il l’avait déjà vécu, la peur. Et toujours il n’arrivait pas à la contrôler. Le sel sur sa main blessée lui faisait mal. La marée montait, tout doucement. Une deuxième fois, il appela la fleur, hystérique. Ses jambes l’avait lâchées et il n’arrivait plus à se mettre debout pour fuir. La mer lui faisait vraiment très peur. Rosa elle, avait au moins forme humaine…

Rosa n'avait plus de coeur, c'était à présent une certitude. Alors pourquoi lui faisait il si mal ? Pourquoi cet énorme trou dans sa poitrine. Elle avait envie de vomir. Elle sanglotait de tout son corps, de tout son coeur, froid, immobile et éteint. Elle se mit à gémir, inspirant par soubresauts incontrôlés, la bouche tordu vers le bas. Elle reniflait à plusieurs reprises. Elle posa les mains sur sa poitrine. L'expression de l'inconnu lui avait fait si mal. Était-ce donc le seul sentiment qu'elle inspirerait à l'avenir ? La peur ? Car c'était bien ce qu'elle avait vu dans ses yeux. La terreur et la panique. Elle se recroquevilla sur elle-même, mais releva la tête, juste pour voir où il était. La réponse était : très loin. Et il s'éloignait encore. L'écume montante alla tremper ses jambes nues, mais elle ne se glaça pas. Non, elle était à présent si froide, que tout lui semblait brûlant autour d'elle.

Il lui hurlait de s'en aller. C'était tout ce qu'elle entendait. Ce que tout le monde lui dirait sans doute. De s'en aller le plus loin possible d'eux. Rosa se sentait si mal. Si mal. Ses cheveux blonds étaient ébouriffés, forêt blonde sauvage. Elle faisait réellement peur en réalité. Sur sa peau pâle, ses yeux ressortaient plus bleus que jamais. Un fantôme. Vidée de sa substance :

"JE NE PEUX PAS !"

Non, elle ne pouvait pas s'en aller. Partir équivalait à disparaître. Maintenant, quitter l'île signifiait quitter le monde des vivants. Et elle ne pouvait s'y résoudre avant un moment. Quand elle sentirait venir la fin, alors, sans doute, elle prendrait un hors bord et foncerait vers les côtes avant de s'évanouir dans les airs. Si Mr O. acceptait de lui laisser prendre un bateau, bien sûr. Mais il ne laisserait sans doute pas les pions quitter l'échiquier avant un bon moment.

Puis soudain, alors que la douleur atteignait son apogée, une lueur d'espoir. Son prénom. Crié avec désespoir. Quelqu'un avait besoin d'elle. Elle se redressa, empoignant le sable entre ses mains salées. Elle se releva, avant de rechuter tout de suite. Elle était si faible... Elle sanglota à nouveau, avant de se relever. Avec difficulté, mais elle y parvint. Avancer. Un pied devant l'autre. Incertaine, sa silhouette se dressa dans le crépuscule. Sa peau semblait scintiller dans l'obscurité, et peu à peu, elle reprit de l'assurance et commença à courir dans la direction du jeune homme, ses larmes séchant sur ses joues pâles.

Une fois arrivée, elle se pencha vers le jeune homme et le saisit par dessous les bras, l'enlevant facilement à la mer. Elle ressemblait à une épave. Mais elle tint bon et chuchota d'une voix douce mais assurée, bien que légèrement hoquetante.

"Je suis là... Je suis là..."

Elle tomba à genoux, et posa la tête du jeune homme sur ses jambes repliées. Sa main froide s'applique sur son front brûlant.

[Pardon pour l'insulte et la baffe, il est spontané n_n']

On répondit à son appel. Il la repoussait, il l’appelait… Elle venait. Pourquoi était-elle si gentille avec lui ? Il la malmenait, bouffait des crabes, était misogyne… Et pourtant, Rosa était venue. Elle l’avait agrippé et tiré hors de la mer. Elle avait saisi sa tête et l’avait posé sur ses genoux. Elle passait sa main froide dans sur sa tête. Et lui qui pleurait plus que de raison ! Citlãlin entendait encore le bruit de la mer derrière lui, sentait le goût du sel iodé sur ses lèvres… Elle était toujours là, la mer ! Sa mère… elle le poursuivait ? Cette idée ne fit que le faire paniquer encore plus. Il cacha son visage dans ses mains, brusquement, sans rien faire, prostré, ses longues jambes ramenées vers sa poitrine. Toujours il pleurait, en un concert avec les sanglots de la jeune femme.

« Pardon… »

Il saisit la main qui vagabondait sur son front, avec brutalité, la serrant comme s’il voulait la briser et la porta à ses lèvres, en y posant un baiser qui contrasta avec sa force sauvage avant de la tenir, contre son cou. Lui, on sentait son sang passer dans ses veine, son pouls, il avait la peau chaude, il respirait… Il n’était pas mort, lui, alors que faisait-il là ? Il enleva sa main qui couvrait encore ses yeux, et regarda Rosa.

« C’est ma mère… Elle m’en veut ? »

Il se dégagea de l’étreinte de la jeune femme, tentant de se relever, sans y arriver.

« La mer… elle m’en veut ? »

L’eau continuait à monter alors que dans le ciel le jugeaient les premières étoiles. Il se stoppa, regardant à nouveau Rosa.

« tu es morte… Tu m’en veux ? »

De nouveau il se mordit la main. Il pleurait toujours, terrorisé. Il ne comprenait vraiment rien… Et elle qu’il désirait toucher et en même temps repousser. Elle à qui il ne pourrait jamais faire de mal ! Qu’il ne pourrait jamais tuer ! Pourtant, il désirait tuer. Et qu’est-ce qu’il avait faim ! Un crabe imprudent s’approcha, et la fureur de Citlãlin revint. Son poing, fort, l’enfonça dans le sable trempé, comme pour l’étouffer. Il ne se rendait pas compte qu’il tuait. Que c’était mal. Méchant, mauvais. Et si c’était les autres qui étaient vilains ? Citlãlin, pour la première fois, se sentait réellement seul. Perdu. Avant , il connaissait des gens, des rues ! Mais là… Une morte et la mer… Mer, mère, amer… Souvenirs amers. Et si elle n’était jamais morte, cette mère, que serait-il devenu ?

« J’étais la petite étoile à ma maman… »

Le crabe ne remuait déjà plus. Puis, tout à coup, il se retourna devant Rosa, se leva et lui donna une gifle, sans prévenir. Et il s’éloigna, seul sans rien dire, un moment, avant de se retourner une énième fois, pour lui cracher à la gueule quelques mots.

« Tu m’as fait pleurer, comme toutes les autres ! Même morte, tu vaux rien ! Même morte, une nana vaut rien ! »

Puis il trébucha, et retomba, dans un cri.

« Putain Rosa ! Viens m’aider ! »

Il ne savait plus ce qu’il voulait, et se remit à pleurer. Viendrait-elle encore une fois ? Il en doutait. Citlãlin se savait meurtrier. Que ce soit des coups, ou des mots. Comment toutes avaient pu le supporter si longtemps ? Comment Leonela avait fait ?

« Y a bien une ville sur cette île ! Un endroit où j’verrais plus ma mère ! »

La mer !

Rosa ne comprenait rien aux paroles du jeune homme. Elle se sentait complètement perdue. Pourquoi lui parlait il de sa mère ? Etait-elle morte, elle aussi ? Enfin bon, rien ne changeait au fait qu'il était sérieusement dérangé. Mais cela n'effrayait pas Rosa. Rien ne l'effrayait en fait plus qu'elle même. Lorsqu'il avait saisi sa main, elle avait perçu sa force, mais n'avait ressenti aucun de ses effets. Elle avait senti cependant la chaleur de ses lèvres, la chaleur du sang qui circulait dans ses veines toutes pleines de force vitale. Elle avait pleuré de plus belle.

Rosa, elle n'en voulait à personne. Non, elle était trop mal pour en vouloir à qui que ce soit d'autre. Elle regarda le cadavre du crabe à travers ses larmes. Une vie de plus qui s'échappait. Si fragile, si ridicule. Si horrible. Lorsque l'inconnu se retourna vers elle, sa gifle fut semblable à la caresse du vent. La tête de Rosa ne bougea même pas sous le choc. Elle était solide comme un roc. Irréellement immortelle, invulnérable. Inhumaine, monstrueuse.

Non Rosa ne valait pas plus que quiconque. Elle valait sans doute même moins à présent. Elle sanglota à nouveau, cachant son visage dans ses mains. Il disait des choses si justes qu'elle n'arrivait pas à lui en vouloir. L'odeur du sel qui occupait ses mains lui piqua le nez, mais elle ne sentit rien de désagréable. Quelle genre de créature était-elle devenue ? Quelle horreur avait fait d'elle la nature ? Qu'allait elle devenir ?

Lorsqu'il l'appela, elle ne vint pas tout de suite. Elle défit d'abord un à un les boutons de sa chemise, la lueur blafarde de la lune montante faisant miroiter sa peau pâle et ses cheveux blonds, découvrant un soutien-gorge blanc immaculé. Elle retira sa chemise, puis se redressa et avança jusqu'à lui, ramassant au passage le cadavre du crabe. Elle s'agenouilla à nouveau auprès du jeune homme et tourna son visage sale vers le ciel, l'essuyant avec sa chemise. Puis elle posa le cadavre du cabre près d'eux.

"N'oublie jamais le prix d'une vie... Ne l'oublie jamais..."

Elle soupira et se releva, lui laissant sa chemise, avant de regarder l'horizon obscurci droit devant elle. La ligne bleu était surmontée de milles étoiles. C'était beau. Trop beau. Elle dit d'une voix douce :

"Je ne sais rien de toi, je me fiche de ce que tu as fait. Le passé est inutile. Seul l'avenir compte. Ne pas oublier chaque seconde qui s'échappe. Ne pas oublier que quand on prend une vie, la notre continue, quoi qu'il arrive. Les choses se passent. On y peut rien. Et pour ton information, je n'ai aucune idée de si ta mère t'en veux, mais je crois qu'aucune mère n'en veut à son enfant..."

Elle se mordit les lèvres, au souvenir de sa propre mère. Mais le sang n'affluait pas. Elle soupira :

"C'est quoi ton nom ?"

Et elle venait… Après un long, moment, mais elle venait. Elle accourait à lui, qui criait et hurlait à en faire taire les ours qui grognent dans les bois sombres. Elle essuya son visage comme si c’était celui d’un gamin barbouillé, et il se laissa faire, pleurant toujours, n’osant pas la repousser, aveuglé par le sable qu’elle nettoyait avec un amour dont seule une femme puisse faire preuve. Un homme l’aurait déjà envoyé bouler, lui aurait donné un coup, l’aurait traité, détesté ! Citlãlin avait une tête répugnée, tant il était dégoûté de la plage et de sa situation. Il finit par réussir à ouvrir les yeux, et détourna vivement le regard. Elle était presque nue, l’impudique. Et lui, comme une vierge effarouchée, se cacha à sa vue détournant ses sombres yeux vers le cadavre gisant là, qu’elle avait ramassé, mais pour lui faire comprendre quoi ? D’un coup de pied dédaigneux, il recouvrit le triste corps rouge de sable, et se recula, timide, devant Rosa. Le prix d’une vie… Sans réfléchir, quelques mots sortirent de sa bouche.

« Un crabe ça coûte sept dollars chez le poissonnier. »

Il n’a pas compris ce qu’elle a voulu dire. Serrant la chemise de la demoiselle, qu’elle lui avait laissé entre les mains. C’était sec, ça ne sentait pas la mer, ça sentait bon le savon… Ca sentait bon la femme, c’était encore chaud… Lui, les yeux clos, visage enfoui dans cette chemise à moitié trempée, elle, contemplant le ciel illuminé. Rosa lui parlait, et il l’écoutait, tout en étant absorbé par cette chemise qu’elle lui avait laissée. C’était à lui à présent ! Le passé, l’avenir. Pour lui, l’avenir n’avait pas de sens. Seul le présent compte. Le moment que l’on vit, là, tout de suite. Le passé c’est sa colère, son futur c’est sa mort. Citlãlin osa regarder Rosa, tremblant de froid. Sa mère ne lui en voulait pas ? Une mère n’en voulait jamais à son enfant ? Alors pourquoi un enfant en voulait à sa mère ? Et que voulait dire prendre des vies ? Il n’en prenait pas… il n’en voulait pas à la vie de ces crabes. Il en voulait juste à leur carcasse rouge qu’ils traînaient, hideux ! Il voulait juste les écraser de toute sa violence, comme un enfant casse un jouet lorsqu’il est en colère. Un jouet n’a pas d’âme.

« Alejandro Luis Miguel. Mais ils préfèrent m’appeler Citlãlin. On a déjà proposé de m’acheter quatre-vingt dollars. Vingt de plus que ma mère. »

Il haussa les épaules, le nez toujours collé dans la blanche chemise couverte de sable et de larmes. Larmes qui coulaient toujours, mais bien moins fort, bien moins vite, plus douces. Mais quelle était cette histoire de prix ? Le prix qu’on payait sa mère, c’est tout. La plus chère ! Et lui, on lui avait proposé encore plus. Ce triste incident le gonflait d’orgueil… Il en fallait parfois peu. La notion d’âme lui échappait complètement. Dans son monde, tout s’achetait, même la vie. On tue très bien pour quelques billets.

« Tu sais, les nanas comme toi ça vaut cher. »

Citlãlin la regardait fixement, serrant le vêtement blanc entre ses grandes mains. Puis regarda le ciel.

« Une étoile aussi ça doit coûter pas mal. »

Mais n’en était-il pas une, lui aussi ? une étoile qui ne coûtait pas très cher.

Rosa fixait Citlãlin avec curiosité. Qui était donc cet homme qui n'avait aucune notion de ce qu'était réellement la vie ? Qui croyait que tout s'achetait sans mesure ? Ainsi on avait proposé de l'acheter ? Mais d'où venait-il ? Qui étaient ces "ils" ? Mais ce qui étonnait Rosa plus que tout était qu'il émanait du jeune homme, alors qu'il semblait avoir grandi dans un milieu difficile, un espèce d'innocence, certes malsaine, mais une innocence tout de même. Comme un aveugle à qui ont expliquerait ce que ça fait de voir. En même temps, les paroles de Citlãlin la mettait hors d'elle. Pourquoi n'avait il pas conscience de ce que la vie coûtait ? Bien plus que soixante, bien plus que quatre-vingt dollars. Bien plus d'une étoile. Bien plus que tout, lorsqu'on est cette vie.

Lorsqu'il lui dit qu'elle devait coûter cher, soutenant son regard azur, elle ne le prit pas comme un compliment. Elle commençait peu à peu à comprendre. Sûr qu'une jeune fille blonde, d'apparence en bonne santé, devait se vendre cher chez Citlãlin... Seulement, une morte ne coûtait plus grand chose... Doucement, elle saisit le menton du jeune homme entre son index et son pouce en tendant le bras et le força à la regarder.

"Non, Citlãlin, je ne dois plus coûter très cher... En fait, je crois que les morts ne coutent rien" ajouta-t-elle en plaisantant.

Elle prit une inspiration, sa poitrine à présent vide de tout coeur se soulevant légèrement. Rosa avait l'impensable besoin de lui expliquer qu'on achetait pas les êtres humains. Que chaque être n'appartient qu'à soi. Et que s'il est soumis aux lois de la vie et de l'état où il réside, il ne doit rien à personne qu'autre qu'à ceux qu'il aime.

"Tu sais, personne n'a le droit de t'acheter... Tu n'appartiens qu'à toi, et à ceux à qui tu décides d'appartenir... A personne d'autre..."

Non à personne d'autre... Ceux qui prenait le droit de décider de la mort ou de la vie des autres n'étaient que des monstres. Comme Mr O. En réalité, Rosa n'avait aucune idée qu'en face d'elle se trouvait un meurtrier, que son ex en était un, et que pas mal d'autres gens autour d'elle étaient coupables d'autres méfaits. Elle en était même capable d'oublier qu'elle-même avait souvent eu des envies de meurtres. Tout simplement parce qu'elle avait franchi la frontière de la vie. Quelle hypocrisie.

Elle retira ses doigts du menton de Citlãlin et laissa tomber son bras le long de son corps. Elle lui montra du pouce l'ombre de la villa que l'on pouvait à présent deviner derrière elle.

"Si tu veux aller à la villa... Mais il te faudra affronter les autres..."

Ce dont elle-même ne mourrait pas d'envie.

Une main vint saisir le bas de son visage, lui faisait tourner délicatement la tête. Les doigts de Rosa. Elle semblait… Etrangement sérieuse. Qu’avait-il dit de mal ? Fait de mal ? Rien, du moins, le croyait-il. Elle ne coûtait donc rien ? Elle était… gratuite ? Citlãlin fit une étrange grimace. Quel genre de femme était-elle ? Ah. Une morte. Une morte ne valait rien ? C’est vrai, c’est certain. Quoi que les organes devaient valoir cher s’ils étaient encore frais. La mafia russe surtout, en était friande. Mais le jeune homme doutait qu’il y ait ne serais-ce qu’un gang par ici. L’endroit était désert. Citlãlin baissa les yeux, se sentant gêné par ce qu’il avait dit. Ce n’était pas méchant, il croyait que c’était un compliment. Mais elle l’avait compris autrement. C’est vrai que le jeune homme était maladroit. Et que tout ce qu’il faisait ne faisait que l’incommoder : baisser les yeux avait été une erreur de plus. Le décolleté de la jeune femme était là, juste sous ses yeux. Les pommettes de Ctilãlin rougirent alors, et son regard toujours embué de larmes se détacha difficilement de la poitrine de la demoiselle pour tenter de se concentrer sur ce qu’elle disait, regardant la mer vomir l’écume.

« Ma mère appartenait à mon père… »

Il soupira, en levant les épaules. Citlãlin n’avait jamais appartenu à n’importe qui, lui. Il avait toujours été seul. Du moins, le pensait-il. Parfois, il s’offrait. Parfois. Ou prenait. Mais n’avait jamais réellement appartenu à quelqu’un. Et ce qu’elle lui disait, c’était tout nouveau pour lui. Dans son monde, on appartenait à un mac, à un gang, à quelque chose… Mais pas à soi-même. C’était comme être tout seul, ou comme être… Libre. Puis la demoiselle lâcha son menton, comme si tout à coup, elle n’avait plus la force à rien. Le jeune homme la regarda alors, les yeux agrandis par la stupéfaction. Jamais elle n’avait appartenu à quelqu’un ? Ah, ils ne venaient pas du même monde ! Sûrement que Rosa était née dans un meilleur milieu que lui. Comment avait-il pu croire autre chose ? Ses vêtements doux, ses manières douces, ses regards doux. Raffinée, et lui si brutal. La demoiselle désigna au loin une villa que Citlãlin n’avait pas encore remarqué. Les autres. Ah, il y en avait d’autres ? D’’autres… Morts ? Et les affronter ? Le gangsta se mordilla la lèvre inférieure et secoua vivement la tête en signe de désapprobation. Les autres, ils étaient comment ?

« Ils sont comme toi ? »

Sa voix était timide. Son regard se reposa sur le décolleté de Rosa, avant de s’en décoller rapidement, attiré par le pavillon.

« Morts ? »

De nouveau, Citlãlin enfouit son visage dans la chemise de Rosa, y séchant ce qui restait de larmes sur ses joues. Il ne voulait pas savoir la réponse. S’ils étaient vivants, il ne pourrait s’intégrer. Il n’avait jamais réussi à s’intégrer auprès des vivants, et ce n’est pas ici que cela changerait. L’homme en était certain. Mais si c’était des morts, est-ce qu’il allait mourir lui aussi ? Il gémit, et releva ses yeux foncés vers la revenante.

« Je ne veux pas mourir moi ! »

je veux partir !

Rosa se sentit blessée. Comme un coup de poing qu’on aurait envoyé dans son ventre avec une violence à couper le souffle. Mais elle n’en laissa que paraître peu. En fait, un simple froncement de sourcil, une mimique effleurant ses lèvres mais rien d’autre. Oui. A présent il y avait l’espèce humaine, et il y avait les autres. Comme elle. La réalité la heurta à nouveau avec une violence qu’elle aurait cru atténuée. Mais elle n’en était que plus féroce. Aussi dure que la pierre, aussi brûlante que le venin. Sa lèvre supérieure se fit légèrement proéminente et tremblante, tandis qu’elle se forçait à n’avoir aucune réaction excepté un sourire. Elle releva la tête, qu’elle avait baissée, et un soudain sourire découvrit la blancheur de ses dents. Ses yeux bleu azur se rétrécirent entre ses paupières, sous l’effet de son expression, et une fossette se creusa dans sa joue gauche.

« Non, non… Ils ne sont pas comme moi… »

En fait, il était difficile de saisir toute l’étrangeté de l’île lorsqu’on était arrivant tout frais. Or Rosa était là, il lui semblait en tout cas, depuis un temps infini. Elle avait été parmi les premières arrivantes. Avec Cherry, en particulier.
Inconsciemment, Rosa culpabilisait. En effet, n’était-ce pas sa mort qui avait permis aux morts de venir hanter les vivants ? Si elle n’était pas morte… Enfin bref, à présent, elle l’était, par la faute de Mr O. Point. Elle secoua la tête. Elle plongea son regard bleu dans les yeux verts de Citlãlin. Elle s’attendait à ce que l’évocation de ce qui se passait sur l’île provoque quelques réactions. Rosa savait qu’il fallait user de tact, mais elle n’en avait pas vraiment le courage :

« En fait… Il y a des vivants, bien sûr, mais… Il y a certains morts qui sont… revenus… En fait, je suis la seule à être m-morte sur l’île… Les autres sont morts bien avant… Ils ont tous un lien avec les habitants de l’île… »

Sans réfléchir, elle saisit la main rugueuse et salée de Citlãlin dans la sienne, douce et froide, et l’attira sur le chemin de la villa. Elle sentait le pouls du jeune homme contre ses doigts, ce qui la força à retenir ses larmes. Elle était jalouse. Il avait la vie. Elle ferait tout pour qu’il la garde. Comme si c’était la sienne. Rosa avait vaguement conscience que c’était un souhait plutôt malsain, mais elle ne s’en préoccupa pas. Elle ralentit jusqu’à s’arrêter, et fit face à Citlãlin sans lâcher sa main.

« Tu ne mourras pas, d’accord ? »

Elle lui sourit. Rosa lui sourit. Pendant un instant, il crut voir Leonela. Et tout à coup, il avait faim. Faim. Ses lèvres rosées, ses courbes et creux. Très faim ! Un frisson lui parcourut l’échine. Pas un frisson de peur ou d’horreur. Mais d’envie. Une envie qui lui vrillait le ventre. Elle lui avait souri, avec tendresse, comme Leonela. Citlãlin sourit à son tour, par automatisme, dévoilant ses longues dents blanches de carnassier. Quel goût avait sa chair morte ? Sèche, âcre ? Il voulait le savoir. Et Rosa était unique sur cette île. Il n’y avait qu’elle de morte. Les hommes aiment avoir quelque chose que les autres n’ont pas. Quelque chose qui n’est pas commun. Rosa n’était pas habituelle. Elle était morte, et Citlãlin la voulait. Les vivants dont elle parlait, presque à regret, l’individu s’en fichait. A présent, il n’y avait qu’elle, cadavre vivant au milieu des crabes déchiquetés qui déjà commençaient à se faire dépecer par leurs semblables. Lui, il dépècerait bien Rosa pour la manger… le voilà qui bavait. Citlãlin s’essuya sur son bras, dévorant Rosa des yeux. Ah, si elle savait le sort qu’il lui réservait ! Et si il la mangeait, que se passerait-elle ? Peut-être que ses dents ne parviendraient pas à meurtrir sa chair comme son couteau. Rosa le força à se relever, le tirant par la main. Péniblement, vacillant sur ses propres jambes, l’homme lui obéit. Les cachets qu’il avait avalés commençaient à faire effet, le rendant somnolent.

Non, il ne mourra pas. De son regard lourd d’une fatigue peu naturelle, Citlãlin la regarda, longuement. Il dégagea sa main de la sienne, pour la balader sur ses bras blancs et sans vie. La demoiselle avait la peau froide. Puis il caressa ses joues, et approcha son visage de celui de la belle, et lui susurra quelques mots de sa voix grave.

« Moi, si je meurs, Dieu ne me permettra pas de revenir sur terre. »

« Et puis moi, je ne me laisserai pas tuer. »

Chez Citlãlin, la mort naturelle n’existait que dans les film. On tuait, se faisait tuer, ou se tuait. La faucheuse, c’était un couteau, une arme à feu, une corde. Pas un accident ou une maladie. Ses mains s’étaient petit à petit agrippées aux cheveux blonds de Rosa, son front s’était posé contre celui de la jeune femme. Puis sa bouche s’approcha de la sienne, léchant du bout de sa langue les lèvres de la jeune femme. Même son goût était différent. Cela lui donnait encore plus envie. Le gangsta s’éloigna ensuite, de quelques pas. Il avait encore ce goût sur ses lèvres. Un goût morbide, mais fruité en même temps. Cela ressemblait fort au goût de la chair de Leonela, quand elle finit par trépasser sous ses morsures et ses coups. Il se mit à trembler, violemment. Ses yeux roulèrent dans ses orbites, en extase. Elle lui demandait de vivre. Alors, il vivrai. Pour la sentir, et l’avaler. Ce sera sa seconde proie. Citlãlin tendit ses mains vers elle.

« Et si là bas ils veulent me tuer, je les écraserai comme des crabes. »

Sa voix était forte, sans faille. On sentait la méchanceté qu’il éprouvait, la répulsion qu’il avait envers les autres. Pas de peur derrière, ou d’appréhension. C’était la seule morte ? Tant mieux. Les autres, ce sera du gâteau.

Le coeur de Rosa, pourtant inerte, sembla revivre à nouveau. Le souffle de Citlãlin était si plein de vie, sa langue tellement gorgée d'un sang qui lui manquait à elle. Lorsque sa langue effleura ses lèvres mortes, son cou se tendit, sa colonne vertébrale se redressa, réclamant à nouveau cette odeur si attirante... La chaleur de la vie était si enivrante que Rosa s'y perdit un instant. Des larmes de frustration envahirent ses yeux couleur océan. La jalousie se déversa en elle si violemment qu'elle fut presque ravie que le jeune homme s'écarte un peu. Enfin elle l'aurait été si une vague glaciale ne l'eût pas envahi et mordu son coeur éteint.

Elle effleura ses lèvres de ses doigts pâles et froids. La salive qui y restait gardait l'odeur du jeune homme. Rosa passa sa langue sur ses lèvres, la poitrine soulevée par l'envie. Le désir lui consuma l'esprit. Oui, oui, il pouvait tous les écraser, s'il restait près d'elle, lui donnant un peu de sa vie. Un instant, elle se dit qu'elle devait l'aider à tous les tuer. Mais une brise légère effaça l'odeur qui flottait autour d'elle et embrumait son esprit. L'image de tous les gens qu'elle aimait sur l'île se glissèrent sournoisement devant ses yeux, lui voilant le regard. Jeremy, Shara, Nick, Romain, Tom et... Cherry. Cherry, sa soeur d'âme. Elle la protègerait.

L'angoisse de Rosa s'évapora lorsqu'elle réalisa que Citlãlin avait parlé au conditionnel. Aucun de ses amis ne lui voudrait du mal. C'était certain. L'envie lui remonta à la gorge, si bien que sa voix fut voilée quand elle répondit :

"Personne ne voudra te tuer... Sauf Mr O... sans doute. Ou alors j'étais sa seule cible..."

Elle s'avança instinctivement vers lui, ce qui fut une erreur. L'odeur de sa bouche lui revint en mémoire. Ensorcelante. Troublante. Irrésistible. Elle fit quelques autres pas en avant jusqu'à ne laisser que quelques centimètre entre eux. La vie. Il avait la vie. Il était la vie. Rosa était morte. Mais il pouvait la faire revivre. Elle se colla à lui subrepticement avec tant de force qu'elle eût voulu se fondre en lui. Juste histoire de ressentir du sang couler en elle.

Levant la tête vers son visage, ses longs cheveux blonds étincelants sous la lune, sa peau pâle se fondant avec la peau brune du jeune homme. Elle approcha les lèvres des siennes, ne l'embrassant pas encore, respirant à plein poumons le souffle de vie. Rosa l'embrassa alors à pleine bouche, rien que pour sentir la saveur miraculeuse de sa salive, la chaleur du sang qui coulait dans ses veines...

Mr. O ? L’homme de la cassette qu’il avait écouté. Citlãlin, un instant, l’avait oublié. Il n’aurait pas du. Il devait l’abattre, lui en premier, lui qui l’avait envoyé ici, parmi toute ces immondices, tous ces crabes et… Et Rosa. Perdu dans ses furieuses pensées, le gangsta ne l’avait pas vu s’approcher, tout doucement, pour l’enlacer. Elle l’étouffait presque, elle qui ne respirait pas et n’avait rien à craindre. Citlãlin eut un étrange haut le cœur. Lui, tout son corps bougeait, en respirant, avalant, son cœur qui bat, ses poumons qui se gonflent. Et elle, aussi froide qu’une pierre, tout contre son corps chaud. Stupéfait, il lâcha la chemise qu’il tenait toujours, et se mit à trembler, alors que le visage de Rosa se rapprochait du sien. La respiration de Citlãlin devint saccadée, forte, bruyante. Que faisait-elle ? Jamais on ne s’était approché ainsi de lui…. Toujours c’était lui qui arrachait un baiser aux autres ! Puis, ses lèvres touchèrent les siennes. Citlãlin recula légèrement, mais elle avança. La bouche de Rosa était sèche, froide, morte. Lui était brûlant de désir. Il s’en fichait bien, qu’il n’y ait plus une goutte de sang dans ce cadavre ! Il voulait… Il voulait l’avoir pour lui, comme un trésor, qu’il garderait, jaloux ! Les hommes à deux têtes, les frères siamois n’étaient que des horreurs peu amusantes à côté d’elle, si belle… Il prit le visage de Rosa entre ses mains, en des gestes brusques. Au diable Mr. O, ses crabes et le reste de l’humanité. Il avait trouvé ici quelque chose qu’il ne pensait jamais trouver un jour. Un amour morbide, mortifère, une expérience nouvelle. Il voulait tout savoir d’elle, sa mort, et tout voir. Etait-elle vraiment comme les autres ? Et quelle odeur ! Cela le rendait fou. Il fallait s’y faire. La mort l’attirait plus que de raison, et d’une façon si inhumaine. Il voulait la manger, l’embrasser… Et plus. Elle n’aurait pas dû meler sa bouche à la sienne. Citlãlin était devenu complètement fou.

Le baiser fut d’abord brutal, puis Citlãlin y alla plus doucement, se délectant de cette peau macabre. Sa bouche glissa lentement vers le cou de la jeune femme, y déposant une multitude de baisers, soufflant sur sa chair qui jamais ne frissonnera sous ses caresses. Ses mains l’enserraient, ses ongles tentaient de la griffer et lui tremblait, tout chose, tout ému de ce corps féminin si près du sien. Mort, qui plus est ! Citlãlin sentait la poitrine de Rosa reposer contre la sienne. Il s’immobilisa, sa tête posée dans le creux du cou de la demoiselle. Citãlin avait beau être violent, méchant jusqu’à l’insoutenable, il avait une conscience, qui lui souffla à l’oreille quelque chose dont il n’avait pas encore prit conscience. Nécrophile. Il avait aimé tuer son ancienne compagne, l’embrassant à chaque bouchée. Et maintenant, il voulait recommencer, et ne voyait pas un amour autrement que de cette façon.

« Rosa. »

Il l’embrassa dans le cou, avant d’oser la regarder. Peut-être qu’après ce qu’il dirait, elle partirait. Il regarda le ciel noir, cherchant ses mots. Il ne voyait presque plus rien, ne savait plus où était la mer, le ciel, les crabes. Peut-être que Mr. O les observait, en ce moment même, à quelques mètres, un sourire narquois sur ses lèvres. Ils faisaient un adorable couple, tous les deux ! La morte et le nécrophile. On ne pouvait rêver mieux. Citlãlin abandonna l’idée de lui dire ce qu’il était, ce qu’il avait fait. Il ne voulait pas… Ne pouvait pas. C’était comme un enfant à qui sa mère donnait une friandise parce qu’il avait été sage pendant son absence. Une mère qui n’avait pas encore vu le vase qu’il avait cassé. Et l’enfant ne savait s’il devait rendre la sucrerie et tout avouer, ou manger la sucrerie et ne rien dire. Rosa était son petit morceau de sucre. Il l’embrassa sur le front, maladroitement.

« Rosa, si tu savais… »

Le jeune homme fit glisser son nez et le bout de ses lèvres sur le visage de la jolie blonde, lui murmurant ses paroles, d’une voix qui tremblait légèrement.

« Si tu savais… »

Il ferma les yeux et ravala un sanglot nerveux.

« Rosa, pardonne-moi… »

Il se remit à pleurer. Dans la pénombre, à peine si on pouvait distinguer ses larmes, mais sûrement que la demoiselle les sentait, contre sa joue, alors qu’il frottait son doux visage contre le sien. Il sanglotait, tout en entant de retenir ses pleurs. Il était nécrophile, et en un instant, elle lui avait fait perdre la tête ! Il avait été prêt à l’avaler goulûment, sans aucun plaisir, juste dans un sursaut d’animal assoiffé. Il ne savait plus quoi faire, que faire. Il ne voulait plus la perdre. Elle était déjà décédée, il n’aurait pas besoin de la massacrer… Il n’aurait qu’à l’embrasser et la caresser, cela lui suffirait. La mordre parfois, mais pas la manger… Ou juste un peu. Non, même pas. Rosa était le genre de friandise que l’on regarde longtemps, n’osant pas la manger, sachant qu’ensuite, il n’y en aurait plus jamais. La voix de Citlãlin se fit suppliante.

« Je t’en prie, Rosa… Embrasse moi encore. »

L’un et l’autre avaient besoin de l’autre, jalousait l’autre. Lui parce quelle était morte. Elle parce qu’il était vivant. Les mains de Citlãlin remontèrent les flancs et côtes de la douce, pour caresser du bout des doigts le tissu soyeux du soutien-gorge de la belle. Il colla son front à celui de Rosa, gémissant qu’il voulait qu’elle l’embrasse. Dans ses baisers, il oubliait ce qu’il était, et trouvait cela parfaitement normal que de l’aimer, elle, morte, mais aussi tristement superbe.

Rosa l'entendit prononcer son nom. Et, tandis qu'il embrassait son cou, elle s'accrocha à lui en glissant ses bras derrière sa nuque. Elle avait besoin d'y mettre toute sa force, toute l'énergie que la mort lui avait donné. Il était si étrange de se dire qu'elle n'était qu'un fantôme, mais que son corps était plus dur que n'importe quel humain. Elle n'avait senti ses tentatives de griffures que comme des effleurements... Elle embrassait le coin de sa mâchoire, avide, les pensées totalement embrumées par sa nouvelle obsession. Elle répondit en chuchotant son prénom au creux de son oreille. Un prénom si chantant...

"Citlãlin..."

Lorsqu'il la regarda elle crut se noyer dans l'intensité de son regard. Un regard totalement insondable mais qui luisait dans la nuit. Rosa sentit confusément qu'il voulait lui dire quelque chose. Quelque chose qui lui tenait à coeur. Ce regard lui fit peur une fraction de seconde. Qu'avait il à dire pour que ses yeux s'obscurcissent à ce point. Certes, il devait avoir un paquet de choses à dire, étant donné qu'ils ne se connaissaient pas depuis vingt-quatre heures, mais la jeune femme se doutait que cette chose était plus importante que nulle autre. Heureusement, il cessa de la regarder pour l'embrasser sur le front, ce qui évita à Rosa de se perdre dans ses question et sa contemplation... Jusqu'à ce qu'il reparle.

Qu'y avait il qu'elle devait savoir, ou ne pas savoir ? Un instant, son esprit le cours de celui qu'avait emprunté la logique de ses pensées humaines. Si Citlãlin était sur l'île, c'est qu'il avait quelque chose à se reprocher. Forcément. Mais à ce moment là, Rosa n'était plus vivante. Elle était morte. Les actes humains lui importaient peu. Elle avait simplement compris que la seule chose importante était de profiter de chaque minute de sa vie sans regarder en arrière, vers le passé. Si elle l'avait elle-même fait de son vivant, elle ne serait pas venue ici, et donc pas morte. Quoi qu'ait fait Citlãlin, Rosa ne l'avait pas connu dans le passé. Seul lui importait son avenir. Et son présent. Elle souffla donc, autant influencée par son désir que par ses réflexions :

"Je te pardonne..."

Rosa sentit les larmes de Citlãlin sur son propre visage. Une effleura ses lèvres. Ses larmes aussi avait un goût différent des siennes. Amer et formidable. D'une pression qu'elle exerça de ses bras sur la nuque du jeune homme, elle le força doucement à poser sa tête contre son épaule, inspirant au passage l'odeur de ses cheveux. Il lui demanda de l'embrasser. Elle ne comptait pas se faire prier. D'autant plus qu'elle sentait ses mains sur sa taille déliée et sa poitrine. Entendant les sanglots du jeune homme, elle lui posa un doigt sur les lèvres, et chuchota, maternelle :

"Chuuuut..."

Elle attendit quelques secondes avant de plonger ses doigts dans sa chevelure et d'attirer son visage vers le sien. Avec une force tranquille et douce. Tout d'abord elle ne fit qu'effleurer son nez du sien, puis sa bouche de la sienne. Prenant le temps d profiter de cette vie qui émanait de lui. Elle se dressa sur la pointe des pieds, pour éviter de flanquer un torticolis au jeune homme qui était somme toute, bien plus grand que lui. Ne retenant pas son élan, elle laissa leurs bouches se rencontrer. Mais la passion qui naissait en elle l'empêcha de rester modérée. Elle l'embrassa avec force, presque violence, saisissant son visage entre ses mains...

Elle le pardonnait, disait-elle. Savait-elle au moins ce qu’il avait fait ? Continuerait-elle à le pardonner, avec son lourd passé… Jamais il ne fallait qu’elle apprenne ce qu’il avait osé faire. Citlãlin ne voulait pas la perdre. Rosa semblait savoir parfaitement ce qu’elle faisait, manoeuvrant chacun de ses gestes, avec douceur mais force, maîtrisant complètement la situation, alors qu’elle échappait complètement à Citlãlin. Ce dernier se laissa faire, frissonnant à chaque fois qu’elle l’effleurait. Paupières à demi closes, ses larmes rendaient collantes sa peau, le rendait plus vivant. Elle l’avait calmé, en un rien de temps. Ses paroles soulagèrent intensément Citlãlin. C’est comme si Dieu, par l’intermédiaire de Rosa, l’avait pardonné. C’était un ange. Sa peau lisse et blanche, ses cheveux blonds. Ses yeux merveilleux. Sa bouche glacée. Connaissez-vous beaucoup d’hommes qui ont reçu un baiser de la mort dont le cœur bat encore, et plus fort encore ? Et elle tenait sa tête, comme si elle ne pouvait tenir seule, cette caboche de fou. Il est vrai que si la demoiselle ne s’accrochait pas à elle, sûrement qu’elle serait tombée, charmée, et se serait enterrée dans le sable, se sentant indigne de tels baisers. Citlãlin se laissa surprendre par l’énergie qu’elle mettait à l’embrasser, prête à le dévorer. Lui se laissait faire, toujours entre l’amer de ses larmes, l’horreur de son amour, la joie de la sentir si près. L’homme ne pensait plus à rien, chassait tout ce qui pourrait briser ce délicieux instant. De tels moments, il n’en aurait que peu dans sa vie, il le savait. Rosa, ce n’était pas un coup de foudre, c’était pire. Une attirance, une répulsion, un rien dans l’univers, un tout pour lui. La femme parfaite. Morte et belle.

Un crabe le frôla, le ramenant de suite à la réalité. Une plage, une mer qui montait, un air frais, et une obscurité qui lui cachait tout, à lui qui voulait toujours tout voir ! C’est qu’il la distinguait à peine, sa rose, dans tout ce noir. Les étoiles ne brillaient pas assez pour elle ! Citlãlin ferma complètement ses yeux verts, défit brutalement sa bouche de celle de la demoiselle. Les instincts reprenaient le dessus. Il voulait la mordre. Mais en même temps, ne voulait pas. La manger, ne pas la manger. L’immobilisme total. Essoufflé par ce long baiser, il saisit la main droite de Rosa, la glissa sous son haut, sur son cœur qui battait la mélodie rythmée de la vie, doublé de son souffle saccadé, qui lui semblait courir, ralentir, accélérer, complètement déréglé. Puis, il mit sa propre main sur le sein de la jolie, le serrant légèrement. Une poitrine inerte.

« Il y en a qui vivent très bien avec un seul rein. »

Sa main monta alors vers la gorge de la jeune femme, tentant de saisir son pouls, mais il n’y avait rien de tout. Alors il caressa sa joue.

« Ou un seul poumon. »

Il gonfla sa poitrine de l’air marin, pour accompagner ses dires. Le bout de ses doigts s’attarda sur les lèvres molles de la demoiselle. Il expira. La main de Rosa se réchauffait grâce à la chaleur corporelle de Citlãlin, qui la lui transmettait. Qui la lui donnait.

« On peut très bien vivre à deux pour une vie. »

Elle l’avait embrassé quand il le lui avait demandé. Il l’embrassa sans le lui demander. Doucement. Sa main glissée dans ses cheveux qui faisaient des nœuds. D’un bras il la tenait contre lui, alors qu’il la forçait à reculer, se dirigeant vers les lumières, tout là-bas allumées, comme celles d’un phare, de l’unique demeure sur l’île. Citlãlin n’avait plus peur de ce qui pouvait l’attendre là-bas. Parce qu’il n’était plus seul, à présent, parce qu’il partageait ce qu’il avait de plus précieux avec Rosa. Sa vie. Pas son passé, peut-être son avenir, mais sûrement son présent. Sa vie. Citlãlin trébucha, et tomba, en un cri. Les crabes autour d’eux s’éloignèrent, brusquement.

Rosa émit un rire cristallin, qu'elle avait gardé pour elle ne savait qu'elle raison de la vie. Il était si drôle ainsi tombé. Oui, ils pourraient vivre pour une seule vie. Ils pourraient partager la sienne. C'était certain. Rosa s'accroupit près de Citlãlin et écarta en lui souriant les mèches de ses cheveux qui couvraient ses yeux puis se pencha sur sa bouche pour l'embrasser à nouveau. Le baiser fut plus intense que tout autres, car elle scellait une promesse. Elle ne voulait pas réfléchir plus que cela. Seul comptait l'instant présent. Elle s'arracha à ses lèvres et chuchota :

"D'accord..."

Elle l'embrassa à nouveau, mais furtivement, comme une caresse. Elle craignait d'aller trop loin en cédant à son désir et décida donc qu'il était temps qu'ils rentrent. Rosa n'avait aucune envie que leur couple soit soumis au regard des autres, mais il fallait bien que Citlãlin prenne connaissance des lieux, comprenne ce qui l'attendait dans le manoir, à part la présence de fantôme. Elle noua leurs mains et le releva sans peine. Posant une main sur ses reins et une autre sur sa joue elle l'embrassa encore. Elle ne s'en lassait pas. C'était si bon ce souffle de vie qui s'agitait en elle. Comme elle sentait qu'elle se laissait à nouveau aller, elle s'écarta doucement et lui dit :

"Nous devons y aller..."

Elle le guida, marchant à reculons vers la maison, laissant ses yeux dériver sur le corps du jeune homme, se plongeant avec délice dans ses yeux. Le vent se levait peu à peu dans le crépuscule, faisant voler autour de Rosa un nuage de boucles blondes argentés. Elle souriait, dévoilant ses dents blanches bien alignées. C'était la première fois depuis sa mort qu'elle se sentait si bien. Qu'elle se sentait mieux.

Lorsqu'ils arrivèrent à quelques mètres de la villa, dont l'entrée demeurait dans l'obscurité, Rosa s'arrêta et se rapprocha de Citlãlin. Elle se retint fort de le serrer dans ses bras, et se contenta d'effleurer son torse, ses épaules du bout de ses doigts. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour lui souffler à l'oreille

"Te sens-tu prêt ?"

Ne pouvant résister à la sensation, elle glissa ses bras autour de son cou, l'embrassant à pleine bouche...

[Désolée du retard -_-"]

Elle riait. Il avait trébuché, aurait pu se faire mal, et elle, de son rire clair comme l’eau, s’en amusait. Le visage de Citlãlin s’obscurcit un moment et ses mains tremblèrent de vouloir l’étrangler. Mais à peine eut-il levé les yeux que les doigts de la belle effleurèrent son visage et y chassèrent toute trace de méchanceté. Puis, la sentant se pencher, l’homme ferma les yeux et attendit le goût de ses lèvres, qui ne tarda pas à se poser sur les siennes, encore une fois. Mais à chaque fois cela lui semblait si nouveau. Il fut long, ce baiser. Pourtant, il sembla si court aux yeux de Citlãlin ! Allongé sur le sol, Rosa au dessus de lui, il était bien. Juste un mot scella leur accord. Le gangsta souri, se sentant aussi heureux que si ils venaient de… Se fiancer. Son sourire s’étendait jusqu’à ses oreilles, dévoilant ses dents de carnassier qui avait renoncé à la viande pour quelques baisers. Il voulut l’enlacer mais elle s’écarta. Nous. Il rit. Souvent, avec lui c’était Je, ou Moi et parfois Tu suivi d’un mot désobligeant. Mais pas de Nous. La suite le fit un peu moins rêver. Pouf, on redescend sur terre, navette Citlãlin ! Y aller. A la maison. Une grande inconnue, pire que la jungle. Ils se relevèrent. La tête qui tirait était loin d’être aimable et le grincement de ses dents non plus. Elle marchait devant lui, et les regards anxieux du jeune homme allaient de ce beau visage, doux, tendre, à la baraque, lugubre, isolée. Les deux amours parvinrent devant ses murs bien trop vite au goût de Citlãlin. Là, Rosa l’enlaça, comme si elle sentait son trouble. Il voulut la repousser, mais n’y parvint pas. Elle lui posa une question. Il baissa la tête. Elle l’embrassa, les bras passés autour de son cou. Citlãlin la repoussa, mais laissant ses grandes mains sur ses petits bras.

« Non. »

Son regard se reporta sur la baraque. Citlãlin se croyait dans un mauvais film d’horreur, où le héros dit à sa petite amie de rester là le temps qu’il aille exorciser la bicoque. Le jeune homme dansait sur un pied et sur un autre, ne sachant pas trop quoi faire. Puis son regard se posa de nouveau sur Rosa, toujours en petite tenue. Comment pouvait-il réfléchir avec… Ca sous le nez ? Il enleva son t-shirt, et le tendit à la demoiselle, rouge de gêne. Qu’importe qu’il découvre son torse, où sur tout un flanc s’étalait un tatouage, marquant son appartenance à un gang. Mais sur cette île, il perdait toute sa signification. Il n’était plus rien. Plus d’origines salvadoriennes. Juste un fou furieux à la recherche d’un film. Sa bouche était sèche. Comment allait-il pouvoir se faire ici ? Perturbé. En une soirée, on lui prenait tout et lui donnait tout. Citlãlin soupira, mit sa tête dans ses mains. Quand enfin il rouvrit les yeux, se redressant, Rosa était toujours là.

« Si on dormait là ? »

Jolie façon de dire qu’il n’avait aucunement envie de rentrer dans cette fichue maison. Tout être se serait précipité à l’intérieur, heureux de retrouver la civilisation. Mais lui, la civilisation le rejetterait si on apprenait ce qu’il avait fait. L’homme avait l’air sonné, hagard. Fatigué, crevé, dépouillé de toute énergie. Dormir dehors, il l’avait déjà fait tant de fois. Pourquoi pas une fois de plus ? Tant qu’elle était avec lui. Sa morte chérie.

[pas de problèmes miss, prends ton temps n_n]

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