La mort de Rosa

Il est très tard. Ou plutôt très tôt. Rosa se glisse hors des draps. La sueur coule sur son front, souvenir d’un mauvais rêve particulièrement prenant dans lequel la nuit l’a noyée. Une lueur blafarde, reflet de la lune s’infiltre dans sa chambre. Elle se redresse dans son lit, puis se lève. L’hôtesse a la gorge sèche, les jambes tremblantes. Ombre, elle pousse la porte de la pièce et s’évade dans le couloir. Se faufile, les pieds nus sur les tapis usés. La gorge en feu, le cœur affolé. Son cauchemar la rattrape. Elle accélère. Sous l’obscure clarté des étoiles que filtrent les rideaux, ses cheveux blonds en bataille étincèlent, son visage blafard déformé par l’angoisse. Et dans le cœur, l’infâme sentiment de ne plus rien contrôler. Elle dévale les escaliers à tout allure, ses talons claquant parfois contre ses cuisses. Rosa cherche. Elle a une soif atroce qui lui broie la gorge. Son cœur bat trop fort. La tête lui tourne. Ses larmes débordent. Un étau semble vouloir faire éclater sa boîte crânienne. Et dans un flux de pensées désordonnées, une seule se distingue :

« De l’air ! »

Malgré les douleurs dans ses chevilles et la nausée qui l’envahit, elle atteint plus vite encore la porte d’entrée. Dans son affolement, elle ne parvient pas à l’ouvrir. Le verrou n’est pas tiré, l’accès est libre mais ses mouvements tremblants l’empêchent de sortir. La peur lui brouille les sens et les pensées. Elle s’affole. Elle est enfermée pour de bon. Cette villa est son tombeau. Les larmes ruissellent sur son visage fin. Elle s’acharne mais rien ne cède.

« De l’air ! »

Rosa se détourne. Une fenêtre. Le salut. Elle se précipité, essoufflée, ses poumons prêts de l’implosion. Elle atteint la poignée. Tourne. Tire. Une bouffée d’air. Enfin. Sa gorge brûle de ce contraste. De sa main enfiévrée, elle heurte quelque chose. Un verre d’eau. Elle lâche la fenêtre, s’empare du trophée, et engloutit d’un trait le contenu pur du verre. Jamais de l’eau ne lui a fait tant de bien. Ses jambes se dérobent sous elle. Son cœur se calme. Ce n’était qu’un cauchemar. Tout va bien. Elle fixe le ciel par la fenêtre. Apaisée. Les larmes coulent toujours mais elles ne l’irritent plus.

Quand soudain, une effroyable douleur. Comme un pieu que l’on lui enfoncerait dans le cœur. Son corps s’agite de soubresauts. Elle veut vomir, hurler. Tout pour arrêter cette douleur. Ce froid qui l’envahit tandis qu’on lui laboure le cœur. Elle lâche le verre, qui rebondit sans heurt. Elle entend les battements de son cœur si fort… De mois en mois fréquents… De moins en mois forts. La douleur atteint son apogée. Elle lève ses yeux révulsés et aperçoit le ciel. Peuplé d’une myriade d’étoile. Malgré la torture, elle sourit. La liberté. Une dernière flèche en plein cœur, la poupée de chiffon s’affaisse. Dernier battement. Froid. Calme. Noir. La fin de toute chose. Sur le sol repose un corps sans vie. Inerte. Froid. Ses cheveux blonds s’épanouissent autour de son front. La jeune femme morte a les yeux clos et l’ombre d’un sourire qui flotte sur ses lèvres grises.

Qu’est-ce que c’est ? Un bruit. Un souffle. Ce n’est pas terminé ? Je n’en ai pas fini. Je flotte. Qu’est-ce que… l’infini ?! Pas de tunnel, pas de musique douce. C’est ça la mort ? Un endroit noir et froid ? Une éternité vouée à la solitude ?
Mais… J’entends quelque chose. Un murmure. Je me retourne. Une lueur aveuglante. Une clarté bouleversante. Un sifflement atroce. Des bourrasques. Je pars ?!

Sur le sol, au milieu des habitants attroupés, horrifiés, une jeune femme à la blondeur exquise ouvre les yeux. Chaque parcelle de son cœur la fait souffrir. Personne ne la voit, alors qu’elle est pourtant le centre de l’intérêt général. Elle gémit. Alors un hurlement strient.

« Elle vit ! Elle est vivante ! »

S’en suit nombre d’exclamations. Jusqu’à celle-ci :

« Impossible… Son cœur s’est arrêté de battre… C’est… c’est un fantôme ? »

Un silence troublant. Soudain Rosa s’agite. Elle a senti. La fracture de l’infini. L’ouverture du temps. Le lien du possible à l’impossible qui se noue. Dix reviennent de la mort… Tous des fantômes…