Woops ! [Cit-cit powaaaaaaa >.<]

Il était très tôt le matin. Mais Rosa avait perdu toute notion du temps, tant sa vie était déréglée. Enfin, pensa-t-elle, il n'y avait pas que sa vie qui était détraquée. Son cerveau commençait lui aussi à perdre des boulons. Elle se trouvait dans la cuisine. Elle avait sorti une boîte translucide remplie de muesli et avait sorti un bol blanc, sans signe particulier. Mécaniquement, elle versa quelques flocons dans le bol, qui résonna quelques secondes, puis piocha pensivement une ou deux céréales avant de les mâchonner. Depuis qu'elle était morte, les aliments avait un drôle de goût. Pas mauvais, ni bon, juste... différent. Et, alors qu'elle mangeait de son vivant autant que quatre personnes, à présent, Rosa mangeait avec autant d'appétit qu'un moineau rachitique. Sur ses pensées, elle se sortit une tasse, un sachet de cappucino, et fit bouillir de l'eau. Elle attendit quelques minutes, et versa l'eau brûlante sur la poudre chocolaté-caféïné-sucréïné, inspirant à pleins poumons l'odeur délicieuse.

Elle alla s'asseoir devant son bol et posa sa tasse à côté d'elle. Il lui semblait qu'elle avait la tête étrangement pleine, mais en même temps elle se sentait incapable de faire le tri, et de finalement, réfléchir à quoi que ce soit d'intelligent. Elle se concentrait sur sa cuillère, ses ongles ou la hanse de sa tasse avec un intérêt surprenant pour des choses aussi insignifiantes. Un rayon de soleil que laissa filtrer la fenêtre se posa doucement sur ses cheveux blonds et elle leva la tête, regardant le ciel d'un air pensif. Tout à coup, le goût que laissaient les céréales dans sa bouche l'écoeura. Elle se leva à nouveau et se servit un grand verre d'eau, se rinçant la bouche abondamment. Revenant vers sa chaise, elle eût un geste maladroit et la tasse s'écrasa au sol avec fracas, répandant son contenu sur le sol blanc et impersonnel de la cuisine. Rosa soupira :

"Meeeeeeeeeeeeeeeerde..."

Elle commença à ramasser les bouts de verres à mains nues, sachant pertinemment qu'elle ne pouvait pas se blesser. Ses pieds nus étaient souillés de cappucino, mais elle s'en fichait. A quoi bon finalement ? Elle jeta les morceaux de la tasse à la poubelle et se baissa pour nettoyer la flaque avec une éponge. Lorsqu'elle se releva, repoussant en soupirant ses cheveux blonds, elle se retrouva nez à nez avec quelqu'un qu'elle ne s'attendait absolument pas à voir dans un lieu aussi banal que la cuisine. Elle eut un sourire et lui lança d'une voix douce :

"Salut..."

[♥]

C’est qu’il s’est couché tôt, hier. A onze heures du matin, il était au lit et c’est donc tout à fait normal qu’il soit debout si tôt en ce frais matin. C’est une habitude qu’il a prit à présent, tant la chaleur de l’île l’incommode, et ne vit à présent plus que le matin. Le reste du temps, il dort. Certains lui disent de vivre la nuit, mais le soleil lui manquerait trop et c’est donc avec ce dernier qu’il se lève, et dès qu’il est à son zénith, va se coucher. Avec le temps, il a fini à s’y faire, à cette étrange maison. Et sa chambre… C’est comme si son ancienne chambre entière avait été déplacée ici. A croire que celui qui l’avait enlevé voulait qu’il s’y sente le mieux possible. C’était presque réussit. Restait toujours ce malaise de se savoir tenu en prison, ne pouvant s’enfuir sous risque que soit rendu public son secret… Il le savait. Tenter de partir serait une grande faute et son angoisse, chaque jour grimpait. Depuis qu’il était là, il avait plusieurs fait fois le tour de l’île, sans rien trouver. Citlãlin avait retourné toute la maison, aussi, mais son point faible restait introuvable. Une prison parfaite. La clé de sa cellule était bien planquée… Et cette clé l’obsédait. Avec le désir de se changer les idées, l’homme était sorti de son lit si confortable et s’était dirigé vers sa cabine de douche. De l’eau froide s’était donc échappée du tuyau. Ce fut un peu dur tout d’abord, mais il finit par s’y habituer et y prit plaisir, à cette eau qui le rafraîchissait. Il sortit de la douche qu’un quart d’heure plus tard. La facture d’eau sera salée, s’il fait ça tous les jours, mais c’était sa petite vengeance. Dormir beaucoup, manger beaucoup, gâcher beaucoup. L’humeur des autres, par exemple. Mais là, son ventre grognait. Ce fut donc simplement habillé d’un jean et de sa serviette sur la tête qu’il descendit, encore plein d’eau. Mais c’est sûr qu’il ne pensait croiser personne, aussi tôt le matin. C’était quelqu’un d’invisible la plupart du temps, Citlãlin. Vit tôt, se couche tôt, alors que la plupart des habitants veillent tard le soir et se lèvent donc tard.

Un fracas attira son ouïe, et ce fut sur la pointe des pieds qu’il s’approcha, préparant une méchanceté à celui qui, semblait-il, avait fait tomber quelque chose. Un truc qui ferait sentir à quel point c’était maladroit, bête. Quelque chose de très méchant. Avec un sourire narquois, l’homme se faufila donc dans la cuisine, mais se stoppa net. Devant lui se tenait, accroupie sur le sol, une silhouette qu’il connaissait bien. Une blonde qui l’avait suivie dans sa folie, quand il venait d’arriver. Une fille qu’il n’avait pas revu depuis. Par flemme, et par peur. Par peur qu’elle ne soit finalement pas aussi bien que dans ses souvenirs. Il eut tout à coup envie de fuir, ou de la prendre dans ses bras, mais avant que le salvadorien ait pu faire un choix, elle se releva et se retourna vers lui. Elle lui sourit, il retira vivement ses lunettes. Oui, des lunettes, avec une fine monture en fer, dont il n’est pas très fier. Un défaut de vision ridicule. Elle lui parla. Citlãlin retint sa respiration, tout à coup plus vulnérable qu’un chiot. C’est qu’elle était belle, plus belle même que ses souvenirs qui déjà commençaient à s’effacer. L’homme se rendit compte qu’il ne se souvenait plus de ce teint de peau si parfait, de ses yeux si profonds, de cette chevelure si blonde. Il ne se souvenait plus de qui était Rosa et là voilà, qui de nouveau, seule face à lui, s’épanouissait comme la plus belle fleur de cette terre. Citlãlin ne répondit pas à son salut et se contenta de saisir, avec la violence qui le caractérise, l’éponge qui était serrée dans les mains de la belle et s’agenouilla, sa serviette sur ses épaules et saisit un des pied de Rosa, quitte à la faire chuter tant c’était brutal la façon dont il le faisait et se mit à le nettoyer, se fichant que les siens se souillent dans le café répandu sur le sol, chaud comme le sang qui, il le savait que trop bien, ne coulait pas dans les veines de l’étrange reine. Il restait quelques bouts de céramique brisée par terre, et d’une voix qui n’était qu’un souffle, il ne put s’empêcher de dire une phrase qui n’avait pourtant aucun sens.

« Tu aurais pu te blesser… »

Citlãlin, nettoyant et prenant soin de quelqu’un ? N’importe qui aurait fait un bond en arrière. Mais avec Rosa c’était quelqu’un d’autre, de plus, doux, attentionné. De plus fou. Il prit ensuite sa serviette et sécha le pied de la blonde, avec des gestes saccadés, gauches, ses mains tremblant. Tremblant d’exquise que de frôler ce beau petit peton. Il tenta de se souvenir de quand datait leur rencontre, mais ne réussit à s’en souvenir précisément. Comment avait-il pu ne pas tenter de la retrouver sur cette si petite île ? Avec un naturel déconcertant, il passa à l'autre pied.

Le regard de Rosa effleura les lunettes que Citlãlin venait d'ôter précipitamment. Elle fut toute aussi surprise de voir des montures entre ses mains que de le voir dans la cuisine. Rosa considérait Citlãlin comme une personne trop extraordinaire pour être touchée par les banalités de la vie. Mais ce n'était pas forcément pour lui déplaire. Elle laissa un sourire s'attarder sur ses lèvres. D'autant plus que la vue de la musculature plutôt avantageuse de Citlãlin ne manquait jamais de la ravir. Elle était peut-être morte, mais était encore une femme, et loin d'être insensible à ce genre de choses.

Elle sursauta lorsqu'il lui arracha l'éponge des mains. Pas de douleur, mais de surprise. En réalité, même les gestes les plus violents lui semblaient être caresses. C'était sans doute mieux, songea-t-elle, amusée, Citlãlin, pour ce qu'elle connaissait de lui, ne faisait pas preuve de trop de délicatesse dans ses gestes. Pourtant, pour Rosa, chacune de ses attitudes envers elle lui semblait parfaitement tendres et douces. Et cette idée se renforça lorsqu'il se pencha vers ses pieds.

Rosa fut très touchée par le geste de Citlãlin. Elle ne savait pas pourquoi, la jeune femme étant ordinairement d'un caractère fort qui aurait trouvé ça normal qu'un garçon fasse ça pour elle. Mais de sa part à lui tout semblait prendre un autre sens. Elle rit en entendant sa phrase. Ses mots étaient absurdes, et ils le savaient tous deux. Rosa lui répondit tout de même pour la forme :

"Tu sais bien que non..."

Elle retira délicatement son pied des mains du jeune homme, et s'accroupit avec souplesse pour se retrouver face à lui. Elle ressentit sur la plante de ses pieds, la caresse d'éclats de verre qui auraient du la blesser. Rosa n'y prit pas garde. Elle ramassa quelques petits morceaux de la tasse qui restaient ça et là. Les plus dangereux pour les vivants. Elle les mit au creux de sa paume et ferma la main avant de la rouvrir, comme pour montrer à Citlãlin ce qu'il savait déjà. En effet, la céramique effilée laissa dans sa main des marque blanches crayeuses qui ne tardèrent pas à s'effacer. Elle plongea son regard bleu dans celui, vert et profond, de Citlãlin, et lui dit :

"Toi par contre fait attention..."

Elle effleura sa joue tannée par le soleil du bout de ses doigts. Elle comprit à cet instant précis combien il lui avait manqué. Rosa n'avait pas ressenti ce manque durant les jours de son absence. Il faisait juste partie de ses pensées. Son souvenir suffisait à la satisfaire. Mais à présent, elle se rendait alors compte à quel point ces jours-ci avaient été insignifiants. Cela lui fit un peu peur. Elle se releva rapidement et, tournant le dos à Citlãlin alla jeter les éclats de céramique dans la poubelle, lui demandant, sur un ton neutre :

"Alors... Qu'as tu fait ces derniers temps ?"

[j'adore ton post ♥ (comme d'hab')]

Oh, que de douceur dans sa voix, frisson impardonnable, frisson qui ferait d’un ange le pire des démons. Citlãlin garda ses yeux baissés à la suite de sa réponse, n’osant pas la regarder. Avec douceur elle retira son petit pied blanc de ses grandes mains d’hommes et s’accroupit face à lui, qui courbait toujours l’échine. Puis elle saisit des éclats dans sa main et les serra. A cette vision, le visage de Citlãlin s’éclaircit d’un sourire tyrannique. Déjà il imaginait le sang qui coulerait, la douleur qu’elle éprouverait. Mais il n’y eut rien de tout cela. Avec Rosa, le sadisme corporel ne pouvait pas avoir lieu, Citlãlin devra s’y faire. Mais elle savait parfaitement comment le torturer. Pas besoin de sang, de cris pour cela. Ses grands yeux bleus se rivèrent dans ceux du gangsta qui ne aprvint pas à détourner ses yeux malgré son envie de le faire. C’était si dérangeant ! Comme si elle lisait en lui, farfouillait dans son âme. C’est qu’elle savait tout. Même son meurtre. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était opposer le vert de ses iris à ce bleu limpide. Ce que dit Rosa, l’homme ne l’entendit qu’à moitié, envoûté par son regard. Certainement qu’elle ne s’en rendait pas compte, mais il avait l’air idiot. Ses sourcils s’étaient levés, stupéfiés, et sa bouche, légèrement entrouverte lui donnait l’air hagard. Ou peut-être trouvait-elle cela charmant. Sa main frôla le visage de Citlãlin qui ravala difficilement sa salive. Il allait lui sauter dessus si Rosa continuait à le charmer ainsi… Et pourquoi pas finalement ? Alors que la pensée de l’embrasser lui traversa l’esprit, Rosa se releva, tout à coup, sans prévenir, et s’éloigna, le laissant seul, dépité de n’avoir pu goûté encore une fois à ses lèvres. Comme si elle avait vu son désir et ne voulait pas de son baiser. D’une voix impartiale, tournée vers la poubelle comme si elle parlait à cette dernière, Rosa prit une dernière fois la parole.

« Alors... Qu'as tu fait ces derniers temps ? »

Ce qu’il avait fait, hein ? Complètement hors de lui, juste parce qu’il n’avait pas eu le temps de l’embrasser, juste parce qu’elle s’était détournée de lui, il se releva en un bond. C’est que le damoiseau se sentait bafoué. Depuis le temps qu’ils ne s’étaient pas vus, elle osait réagir ainsi ? Pas un baiser, juste une caresse ? Lui qui raffolait tant de ses lèvres s’était vu privé d’elles alors qu’il avait été si près de les toucher. Et il en était profondément vexé, comme si Rosa lui avait tendu une sucrerie et la lui avait reprise alors qu’il tendait sa main vers elle.

« Ce que j’ai fait pendant tout ce temps ? »

Sa voix n’était pas encore un cri, mais était déjà forte, puissante, grondante comme le tonnerre. Il laissa s’écouler quelques secondes, cherchant dans les placards de quoi se nourrir, claquant les portes le plus fort qu’il puisse. Les boîtes de raviolis, de légumes en conserve, de pâtes et d’épices défilèrent devant ses yeux, mais ce fut une boîte de chocolat en poudre qui attira ses yeux et d’une main tremblante il la saisit, l’ouvrir et se saisissant d’une cuillère, mangea à même le pot. Après la première cuiller, nullement refroidir par l’amer cacao, Citlãlin reprit la parole, un peu plus en colère.

« Ben j’ai rien fait ! J’ai pioncé, j’ai bouffé, j’ai emmerdé les autres, et je n’ai même pas pensé à toi ! »

Et là, pour bien en rajouter au fait que ce soit simplement un gamin vexé, il lui tira la langue en louchant. Puis lui tourna le dos. Tiens, voilà, bien fait, même si ce n’est que des mensonges, et que cela s’entend, Citlãlin a bel et bien cherché à être blessant. C’est qu’il a pensé à elle, souvent. Et si il ne l’a pas cherchée, c’est par peur qu’elle ne soit pas aussi bien que dans ses souvenirs. Mais elle était bien mieux que dans ses souvenirs, plus vivante qu’une autre… Plus attirante que toutes celles qu’il avait croisé. C’était la seule avec laquelle Citlãlin avait envie d’être attentif, aimant. Puis tout à coup il se mit à pleurer. C’était toujours surprenant la facilité avec laquelle cet homme, ce macho ne pensant qu’avec ses muscles fondait en larmes. C’est que là, en ce moment même, une horrible idée venait de lui traverser l’esprit. Elle ne l’aimait pas. Il y avait juste eu sa façon d’aller tout droit vers la poubelle, la neutralité dans sa voix. Juste ça qui avait réussi à le mettre en colère, puis l’avait fait fondre en larmes. Pourtant elle l’avait rassurée, l’avait caressé. Mais cela ne semblait pas suffire. Il voulait un baiser !

[C’est toi qui me donne envie de faire de jolis postes :p]

[roooooh... Que c'est meuhgnon <3]

Rosa sursauta légèrement. Elle ne s'attendait pas réellement à une réaction pareille. Elle réfléchit une seconde. Non, elle ne voyait pas. Elle n'avait rien fait qui ne pouvait le blesser. La jeune femme entendit les portes claquer les unes après les autres avec violence, le dos toujours tourné, n'étant même pas curieuse de voir ce qu'il fabriquait. Elle cherchait toujours ce qu'elle avait dit pour qu'il commence à s'énerver. Elle mettait un à un les morceaux de verre à la poubelle. Puis elle finit par se retourner, juste au moment où Citlãlin reprenait la parole. En l'entendant, Rosa écarquilla légèrement les yeux, avant de baisser la tête, ses cheveux blonds formant un rideau sur ses joues, un sourire amer aux lèvres. Elle sentit des larmes lui monter aux yeux. Citlãlin n'avait pas manqué son coup. Elle était horriblement blessée. C'était injuste. Elle, elle avait pensé à lui. Rosa ne se priva même pas de lui dire, relevant la tête :

"Moi, j'ai pensé à toi."

Elle le vit, simple coïncidence, fondre en larmes à ce moment précis. Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas pourquoi Citlãlin pleurait. Etait-il triste qu'elle ait pensé à lui ? Ou bien de ne pas avoir pensé à elle ? ça n'avait pas vraiment de sens. Elle s'approcha inquiète, enfonçant un peu plus dans ses pieds morts les éclats de céramique qui y restaient collés, tendant sa main fantomatique vers le visage du jeune homme. Elle effleura à nouveau du bout de ses doigts sa joue trempée de larmes, le fixant sans comprendre. Elle s'approcha un peu plus, son autre main se posant naturellement sur le torse de Citlãlin. Comme si ce contact ravivait l'inexplicable attirance qu'elle éprouvait pour lui, elle éprouva soudain l'immense besoin de l'étreindre, avec toute sa force, désormais surhumaine. Elle approcha donc son visage du sien, leurs souffles se mêlant.

Alors qu'elle allait l'embrasser, elle s'arrêta, se remémorant ce qu'il avait dit. Il n'avait pas pensé à elle. Il ne l'aimait pas. Il n'allait pas apprécier qu'elle l'embrasse. Elle inspira son odeur avant de reculer, avec regret. Elle essuya les larmes des joues du jeune homme, lui souriant douloureusement. Rosa se décida alors à parler, plus pour elle que pour lui d'ailleurs, plongea à nouveau son regard dans le sien :

"Tu sais, ce n'est pas grave si tu n'as pas pensé à moi... Je comprends... Après tout, je suis morte, c'est normal que tu ne veuilles pas de moi.."

D'un autre côté, pensa-t-elle, lui était un meurtrier. Il ne valait pas mieux qu'elle, finalement. Mais quand même. Il était vivant. Mais elle ne pouvait pas pour autant se résoudre à rompre le contact de ses mains sur sa peau, et d'ailleurs, ses doigts ne semblaient pas pouvoir s'en détacher. Quelques larmes coulèrent sur ses joues pâles. C'était triste tout de même. Elle était persuadée que lui, l'accepterait, même si elle était irrémédiablement morte. Elle était tellement sûre que quelque chose de lugubrement merveilleux c'était produit à leur première rencontre. Cette certitude se renforçant, elle releva courageusement le visage vers lui et s'approcha brutalement pour l'embrasser. Elle ne voulait pas croire qu'il n'avait pas pensé à elle. Elle l'obligerait à penser à elle !

[>///<]

Moi, j’ai pensé à toi. Rosa lui renvoyait ses méchancetés. Elle avait pensé à lui, mais peut-être d’une autre façon. Comme un souvenir, une erreur à ne plus faire. Un homme à ne plus embrasser. Juste un coup, comme tant ont dit de lui. Pas toujours un bon coup, Citlãlin avait la réputation d’être violent ou, s’il avait trop bu, de s’endormir à n’importe quand. Vraiment n’importe quand. Peut-être que ses étreintes ne lui avaient pas plu ? Qu’elle lui avait rendu ses baisers juste parce qu’elle s’y sentait forcée ? Qui avait embrassé l’autre en premier ? Lui, ou elle ? Des doigts, froids effleurèrent sa peau trempée. Il ne sursauta pas. Ne tourna pas la tête, ses yeux regardant dans le vie, en proie à de nombreuses questions qui le torturaient. Puis ce fut une main sur son torse. Il ne frémit pas. Resta fort alors que son visage luisait de larmes. Citlãlin était décidé à ne rien faire. A ne pas faire un geste, pour ne pas la forcer. Ne plus la forcer à le toucher, à l’embrasser.

C’était à présent à Rosa de le blesser, sans qu’elle le veuille. L’homme avait voulu la blesser, mais elle, si douce, si tendre, ne s’en rendait certainement pas compte. Ne lui avait-il pas dit qu’il l’aimait, et justement, parce qu’elle était morte ? Et là, Rosa lui disait que c’était normal. Citlãlin n’était pas normal. Comment avait-elle pu oublier qu’il l’aimait ? Juste avec quelques mots, l’homme avait réussit à la faire douter ? Lui avait bien douté, juste à cause d’un geste qui lui a semblé absent… Juste parce qu’elle ne s’est pas jetée à son cou. Parce qu’elle ne l’avait pas embrassée. Son visage était si près du sien. Mais Citlãlin resta de marbre. Fermé sur lui-même. Juste coulait sur ses joues ses amères larmes au goût de mer. Et à ses larmes répondirent celles de Rosa. L’un riait, l’autre riait. L’un pleurait, l’autre pleurait. C’était inévitable. L’un voulait embrasser l’autre… l’autre le voulait aussi. Rosa l’embrassa. C’était brutal, presque bestial, comme il avait fait avec elle sur la plage. Mais là, cela ne sentait plus le sel et le sable, mais le café. Et Rosa. Le damoiseau ne put s’empêcher de soupirer quand enfin il eut ce qu’il voulait. Finalement, si, elle l’aimait. A moins… Qu’elle s’y sentait obligée parce qu’il pleurait ? Citlãlin mit fin au baiser, reculant sa tête. Ce n’est pas grave si elle n’avait pas pensé à lui..; mais c’était grave si elle se forçait à l’embrasser. Le gangsta, malgré tous ses défauts, n’aimait pas qu’on le roule en amour. Rouler les autres, pourquoi pas. Mais pas qu’on le roule, lui.

« Je ne veux pas que tu m’embrasses. »

Caprice d’enfant. Il détourna le regard, et posa sur le meuble où il s’était appuyé la boîte de chocolat. Puis, faisant de nouveau volte face, essuyant rapidement les larmes qui coulaient sur ses propres joues, et planta ses yeux de serpents dans ceux de la miss.

« Je veux que tu m’aimes. »

D’une main tremblante, Citlãlin replaça quelques mèches blondes derrière l’oreille de Rosa, penché sur elle, s’attendant au pire. Il voulait bien qu’elle l’embrasse, que si elle l’aimait. Le regard du brun semblait étrangement sérieux, sans une once de bêtise, d’avilissement. Sa voix se refit douce, alors que de nouveau Citlãlin brisa le silence.

« Moi, je pleure parce que je suis malade… Tu n’es pas malade, hein ? »

Malade mental, bourré de cachets chimiques qui avaient eu raisons du bon fonctionnement de ses nerfs. Et elle ? Malade d’amour, ce qui avait eu raison du fonctionnement de ses nerfs ?

Rosa recula, blessée et malheureuse. Il venait de la repousser. Et ça lui faisait bien plus mal qu'elle ne voulait l'admettre. Sa tête semblait enfler sous le surplus des "pourquoi" qui lui montaient à la tête. Le geste de recul était terrible. Les paroles de refus de Citlãlin étaient bien pires. Pour Rosa, la brutalité, les gestes n'étaient rien. Les mots étaient tout. Ils donnaient un sens aux choses. Mettaient tout au clair. Ce fut on ne peut plus clair. Il ne voulait pas qu'elle l'embrasse. Point. Rien de plus ni de moins. Enfin c'est ce que crut Rosa. Elle baissa la tête, dépitée, déçue, dégoûtée, amer. Bref, pas en très grande forme. Elle tira nerveusement sur son tee-shirt bleu, puis sur son short en jean. Elle n'aimait pas être déçue. Rosa n'aimait pas être rejetée. Mais elle n'avait plus la force de se battre. Plus maintenant. Plus quand Citlãlin se tenait devant elle, plus beau qu'elle ne l'aurait souhaité. Alors qu'elle s'apprêtait à se détourner, à échapper à son regard impitoyable, il continua.

Un grand sourire illumina le visage pâle de Rosa. Un grand soulagement réchauffa son corps, vidé de tout sang. Cette sensation l'empêcha même de lui répondre. Son visage si près, son souffle sur son visage, la muselait, l'espoir l'empêchait de desserrer les lèvres. Les paroles suivantes, la laissèrent un peu perplexe. La maladie d'amour ? Etait-ce de celle-ci qu'il parlait ? Ou Citlãlin, si différent de tout autre être parlait d'une maladie qui échappait au sens commun ? Rosa n'en savait rien. Et s'en fichait. Elle attrapa la main de Citlãlin, restée près de son oreille. Elle inspira sans le lâcher des yeux, et parvint enfin à parler :

"Idiot..."

Elle releva le menton, pour mieux le regarder. Qu'ils avaient été stupides de se tourner autour, en quête de la même chose. Oui, elle l'aimait. Sans doute pas dans le sens humain du terme. L'amour ne ressemblait pas à ça d'habitude, non ? Il n'était pas si ravageur, si destructeur, si passionnel ? En tout cas, Rosa était persuadée que Citlãlin et elle parlait de la même sorte d'amour.

"Je t'aime déjà..."

Elle ne posa pas la question que n'importe quelle fille aurait posé. Est-ce que tu m'aimes ? Elle avait bien trop peur de la réponse. Elle se contenta donc de répondre à la question de Citlãlin sans plus de commentaire, sans chercher à comprendre ce qu'il entendait par "maladie", en disant simplement ce qui lui venait spontanément.

"Si, je suis malade... Et c'est douloureux. Mais ce n'est pas une maladie physique tu vois ?"

Quoique, pensa Rosa, il lui semblait que cette fameuse maladie qui lui rongeait l'âme avait des répercussions physiques, tant elle était dévorante. Pour la deuxième fois qu'elle voyait Citlãlin, ils embarquaient à nouveau dans cette même folie. Sans même être sûrs qu'ils soient sur la même longueur d'ondes, Rosa se laissait emporter.

"Et toi, de quoi es-tu malade ?"

Idiot que tu es, elle t’aime déjà et toi tu ne le vois pas. Citlãlin ne sourit même pas. Parce qu’il en avait pas envie. Je t’aime, c’était des mots tout aussi solennels que des adieux ou les dernières volontés d’un mourant. C’était une phrase si dure à dire, que souvent on prenait trop à la légère, oubliant le pouvoir qu’ils avaient. Si dure à entendre, aussi. Une phrase qu’on ne peut pas rejeter. Je t’aime, cela ne se dit pas comme tant d’autre choses. Ca se dit avec l’âme. Une âme, un esprit, une vie. Rosa avait-elle encore une âme pour dire cela, étant morte et froide comme une pierre tombale ? Ah, mais quel idiot ! Bien sûr, il partageait la sienne avec elle. Il le lui avait offerte, sur la plage. Tout, même son corps. Qu’elle fasse de lui ce qu’elle voulait. Aussi, par ces simples mots, lui aussi disait qu’il l’aimait. Je t’aime, donc tu m’aimes, parce qu’on est un. Ses yeux luisaient de larmes, Sa peau était froide, mais elle souriait. Lui avait les yeux à présent secs, sa peau était chaude et son air restait grave.

"Si, je suis malade... Et c'est douloureux. Mais ce n'est pas une maladie physique tu vois ?"

Le regard de Citlãlin se fit inquiet, son visage se rapprocha du sien. Peut-être y avait-il un sens caché à ses paroles mais le jeune homme ne le vit pas tout de suite. Pas assez fin, c’est certain. Citlãlin était du genre ours bourru, pas lutin malin. Il en chercha le sens, et en trouva tant qu’il cessa de fouiller. Maladie de l’âme, folie ? Malade parce que morte ? Malade… D’amour ? La question de Rosa vint l’intercepter dans ses pensées. Malade de quoi, d’ailleurs ? L’homme, très pied à terre, sortit de sa poche quelques boîtes de médicaments écrasés et en extirpa quelques notices déchirées. Il les déplia et la vision des lettres lui fit reprendre totalement conscience. Citlãlin ne savait pas lire. A la vue de Rosa, il avait tout oublié, même qu’il ne savait pas lire. Rouge de honte, le jeune homme baissa la tête, ressaisit tout son bric à brac et le remit dans ses poches. De quoi était-il malade, déjà ? Des nerfs. Mais exactement, le nom de sa maladie ? Si elle en avait une, tout du moins. Sa mine se fit boudeuse, et relevant timidement ses grands yeux verts vers Rosa, avoua.

« Beuh… je ne sais pas. »

Il fallait qu’il trouve quelque chose, vite… Pour palier à ce manque de réponse. Sa voix avait été piteuse, comme s’il était déçu par lui-même. Déçu de ne pas pouvoir donner de réponse satisfaisante. Mais étais-ce cette réponse que Rosa attendait, au moins ? Ou une autre ? Le rouge toujours au joue, et soudain comme électrifié, avec des gestes saccadés le damoiseau se saisit de nouveau de la boîte de chocolat, la cuiller, un bol séchant au bord de l’évier et renversa toute la boîte de chocolat dedans. Parce que pendant un moment, il était persuadé que c’était du lait. Ah, cela ne s’améliorait pas. Tout ça parce qu’elle était là… Là, tout près de lui, et bêtement, comme si il était adolescent ne sachant pas comment s’y faire en amour. Mais c’est un peu ce qu’il était, non ? C’est un amour nouveau, où rien n’était sûr. Citlãlin remit ses lunettes sur son nez, espérant que cela le rendrait un peu plus intelligent qu’il ne l’était en ce moment. Peine perdue. Il marcha sur un morceau de verre, ce qui lui arracha un sourire gêné… Qui était une grimace. Contrairement à Rosa, la douleur, il la ressentait bien. Un instant l’homme, se voulant fort, tenta de contenir sa douleur mais ce fut plus fort que lui.

« Rosa, ça fait mal, je crois que je vais encore chialer. »

Sa voix était neutre, mais ne tardèrent pas à couler une larme sur sa joue. Ses nerfs étaient vraiment à fleur de peau. De nouveau, la pensée qui avait fait tant protester Rosa dès leur première rencontre sur l’île lui passa dans la tête. Je chiale comme une nana. Mettant ses mains sur son visage, honteux, l’homme leva son pied, dévoilant, bien planté dedans, deux ou trois éclats. Quelques gouttes de sang chutèrent lourdement. L’homme, abasourdi, les contempla, bouche grande ouverte. Oui, c’était son sang, sur ce sol tâché. Pour ne pas vaciller, Citlãlin du s’appuyer sur la table. Tout son corps tremblait à présent. Le sang, le sang… Du sang !

« Iiiih, Rosaaaa, ça fait maaaal, putaiiiiin ! »

Plus question de faire le fier, à présent... Même l'aide d'une femme était la bienvenue.

Heureusement pour Citlãlin, Rosa n'avait jamais eu une vue suffisamment bonne pour pouvoir lire les notices aux caractères minuscules des médocs, à moins de coller son nez dessus. Elle ne parvint donc pas à savoir à quoi servait les médicaments. Par contre, comme elle n'était pas aveugle, la jeune femme avait tout à fait repéré que Citlãlin était malade au sens propre du terme. Rosa mit de côté sa fierté pour éviter de se sentir trop ridicule avant d'afficher un air inquiet. D'ailleurs son inquiétude alla croissante quand elle observa le manège du jeune homme. Il s'apprêtait à... manger le chocolat en poudre ?! Rosa retint avec peine une grimace de dégoût. Heureusement Citlãlin sembla se raviser. La morte le regardait bouche bée, enchaîner les gestes.

Son exclamation ramena Rosa sur terre. Il disait qu'il allait se mettre à pleurer. Mauvaise idée. La Blonde avait toujours eu du mal à se retenir d'imiter les gens qui pleuraient de souffrance. Elle se souvint vaguement d'un accident bête. Qui n'avait strictement rien à voir avec la scène. C'était la première fois que sa soeur voulait s'épiler les aisselles. elle avait supplié Rosa, qui, maladroitement, lui avait fait vraiment très mal. Sa petite soeur s'étant mise à pleurer, elle avait bêtement paniquer et finit par pleurer encore plus qu'elle.

Elle secoua la tête pour revenir dans le présent. Son regard se posa sur les éclats de céramique qui s'enfonçaient dans le pied de Citlãlin. Elle s'approcha, affolée, suffoquant presque, saisissant un torchon au passage. Elle s'agenouilla devant le pied de Citlãlin, le soutenant fermement de ses mains, enveloppées dans le torchon. Le blessée cria de plus belle. Rosa, affolée, le supplia de se calmer :

"Calme toi ! Calme toi ! Arrête de bouger !"

Inspirant et expirant, se forçant à se détendre, elle se concentra sur les éclats de céramique. De ses doigts elle extirpa prudemment le premier morceau qui céda sans trop de problèmes. Elle versait à présent de grosses larmes. Encore deux morceaux, pensa-t-elle, en chuchota :

"Excuse-moi, excuse moi, excuse-moi..."

L'un après l'autre, Rosa parvint à extraire la céramique. elle enveloppa le pied de Citlãlin dans le torchon, sanglotant comme une bébé. Elle inspira fortement avant de s'essuyer les yeux et de relever la tête le menton tremblant, se forçant à faire bonne figure :

"ça va ?"

La réaction de Rosa surprit fortement Citlãlin. Elle se mit à pleurer à son tour… Etrange, dès qu’il pleurait, elle pleurait aussi. Etait-ils vraiment tellement liés que ce que ressentait l’un, l’autre éprouvait ? A cette pensée ridicule, Citlãlin ne put s’empêcher de se donner mentalement une claque. Le voilà bien sentimental à présent… Comme l’avait demandé Rosa, il ne bougeait plus, bien que son corps continuait de trembler sous le choc et la douleur. Il sentait un à un les éclats s’ôter de sa chair, faisant encore plus mal que quand ils y étaient entré, Rosa n’allant pas assez vite, sûrement par peur de le blesser encore plus. C’était véritablement la panique. Ah, avoir une relation équilibrée avec cet énergumène était impossible, si Rosa aimait les histoires d’amour plan plan, elle était mal tombée. Il sentit qu’elle mettait son pied dans du tissu, ce qui ne servirait pas à grand-chose, vu que le sang qui coulait allait finir par le tâcher complètement. Mais le plus dur était fini ; cela picotait, faisait mal, vraiment mal, mais les morceaux avaient étés ôtés. En réponse à ses pleurs il entendait ceux de Rosa, qui le mettaient particulièrement mal à l’aise. Elle ne devait pas pleurer, ce n’était pas sa faute… pourquoi s’était-elle excusée, d’ailleurs, de quoi était-elle désolée ? Les jambes en coton, Citlãlin s’assit sur le sol, face à Rosa, faisant cette fois attention aux éclats disséminés un peu partout. Son pied lui faisait horriblement mal, et ses jambes semblaient être de coton. Rosa, ayant fini de panser son pied, releva vers lui un visage plein de douceur et trempé de larmes. Citlãlin, n’étant pas du genre à mentir quand il le fallait, fit non de la tête, tentant de contrôler ses pleurs incessants. Il avait vécu bien pire, allez, il supportera… Ou peut-être pas.

« Rosa, Rosa… »

Toujours quand il se sentait mal, il criait son prénom. Même seul, peut-être même en dormant. Le damoiseau finit par s’asseoir sur le sol, ne tenant plus debout, faisant attention cette fois aux éclats disséminés un peu partout. Citlãlin se pencha en avant, collant sa tête contre le ventre de Rosa et entoura sa taille de ses bras, pleurant plus que de raison. C’est qu’il avait eu peur, et très mal. Autant qu’on pouvait le griffer, le mordre ou le pincer qu’il s’en moquait. Mais des éclats, dans ses pieds… Un corps étranger dans sa chair. Gisait non loin un morceau, couvert de sang, dont la taille fit pâlir Citlãlin. Et son pied était encore en vie, après cela ? Le gangsta ferma les yeux, resserrant son étreinte autour de Rosa, glissant ses chaudes mains sous son t-shirt bleu pour caresser sa peau, de sorte à la rassurer, et se rassurer lui-même. Il renifla et enfin réussit à prendre la parole entre deux sanglots.

« J’aimerais que tu me masses les épaules. »

Il remua légèrement les bras, faisant rouler les muscles de son dos sous sa peau. C’est vrai qu’il était torse nu, à moitié allongé sur Rosa ; dévoilant son dos où se dispatchaient quelques grains de beauté, où l’on voyait parfois une blessure cicatrisée depuis longtemps, où l’on voyait les côtes, la colonne vertébrale, les muscles, et sa peau douce, légèrement halée. Mais sa requête était étrange. Ou peut-être pas. Constamment sur les nerfs, il était tout le temps tendu, ce qui lui donnait mal aux épaules. Et ce geste familier, qu’exécutait sa mère, puis sa petite amie, parviendrait peut-être à le calmer. Il tremblait comme s’il avait froid et pleurait toujours, trempant les vêtements de Rosa. C’était nerveux. Se sentant totalement nias et débile, Citlãlin reprit la parole.

« Pourquoi tu pleures ? C’est pas toi qui t’es fait mal… »

Il aurait pu trouver mieux, certes, mais c’était une question qu’il se posait depuis un moment.

Les sanglots de Rosa s'estompèrent peu à peu. Elle n'avait plus à agir, à faire souffrir, elle se sentait mieux. Ses épaules descendirent, décrispées, et elle essuya les larmes qui coulaient encore sur ses joues et son visage. Elle eut quelques hoquets et ses cheveux tressautèrent légèrement. La demande de Citlãlin était très inattendue, mais Rosa s'exécuta sans réfléchir. S'essuyant les mains sur ses vêtements, elle massa ensuite soigneusement les épaules du jeune homme, l'esprit totalement vide. Elle aurait bien aimé s'allonger sur le sol pour se calmer complètement, ne plus bouger, mais l'étreinte de Citlãlin la retenait aussi sûrement que l'eussent fait des chaînes. Des chaînes bien agréables cependant. Elle se surprit finalement a apprécier le contact de ses doigts frais sur la peau tiède du jeune homme, de faire plisser et gonfler la peau en appuyant sur les nœuds musculaires.

« Pourquoi tu pleures ? C’est pas toi qui t’es fait mal… »

En effet, Rosa pleurait encore. Quelques larmes dégoulinait sur son menton et sur le coin de ses lèvres, diffusant un goût salé dans sa bouche. Elle même ne savait pas pourquoi elle pleurait. La souffrance physique qu'elle pouvait donner, la vraie souffrance, à ceux qu'elle aimait la terrifiait. Jamais caractéristique n'avait probablement jamais aussi bien opposé Rosa à Citlãlin. Mais elle ne sut comment l'exprimer, comment mettre des mots dessus, et se contenta donc de répondre, d'une voix un peu cassée, mais rassurante :

"Je ne sais pas... C'est étrange, hein ?"

Elle renifla avant d'interrompre la danse de ses doigts endolori. Elle pencha la tête, le dos, jusqu'à ce qu'elle puisse embrasser le front de Citlãlin, qu'elle puisse essuyer les larmes de son visage. Ce besoin de contact physique venait de surgir en elle très rapidement, sans qu'elle puisse se contenir. Elle caressa ses courts cheveux du bout des doigts, avant de chuchoter :

"Mais ce n'est pas grave, hein ?"

Alors qu'elle avait eu peur un peu plus tôt de le lui demander, elle voulait à présent l'obliger à le dire. Qu'il le dise. Que lui aussi avait besoin d'elle. Il lui avait offert une partie de son être, une partie de son passé, mais cela ne suffisait pas à Rosa. Il lui fallait une preuve supplémentaire, un aveu. Quelque chose de clair.

"Dis moi que tu m'aimes."

[Pas terrible, mais je suis crevée >.< Je me rattrape au prochain coup !]

Elle le massa, de ses mains froides. S’il avait été un chat, Citlãlin se serait mit à ronronner, mais étant homme, tout ce qu’il put faire, c’est gémir de bien-être. C’était si agréable d’être ainsi tripoté ! Citlãlin aimait ce contact de la chair avec la chair, pareil à des caresses amoureuses. Mieux, même. Des caresses, c’était des effleurements incertains. Là, la demoiselle posait franchement ses mains sur son dos musclé. Puis elle se pencha. L’homme sentit ses cheveux blonds effleurer sa tête puis ses lèvres se poser sur son front, ce qui le fit sourire. Ah, qu’il était bien, choyé comme un roi… La douleur de son pied valait bien toutes ces gentillesses ! Citlãlin se mit alors en tête de se blesser encore et encore, rien que pour se faire pouponner. Un véritable masochistes comme il existe encore peu… Citlãlin se fichait bien à présent, de pourquoi elle pleurait. Elle ne savait pas, et d’un naturel peu curieux, et surtout tout endormi, l’homme ne poussa pas plus loin les recherches. Les mains agiles de la demoiselle se fondirent dans ses cheveux, alors qu’elle reprit la parole. Peut-être s’inquiétait-elle de ne pas avoir de réponse ? Citlãlin, dans un effort surhumain, prit donc la peine de répondre à sa requête.

« Mh. »

Réponse positive ou négative ? Bonne question. Mais c’était tout de ce dont il était capable. Pas beaucoup, certes, mais déjà quelque chose. Néanmoins, cela ne sembla pas être assez aux yeux de la revenante, qui lui posa alors la fatidique question. Citlãlin, à présent bien réveillé, leva ses yeux de vipère vers elle. Tous brillants, encore cernés de rouge. Il se mordit les lèvres, ravala sa salive, contempla Rosa. Son petit fantôme blond tout joli, tout adorable… Ne lisait-elle donc pas dans ses yeux tout l’amour qu’il lui portait ? Lui fallait-il en plus des mots, à cette capricieuse ? Citlãlin, l’air sévère dit sur un ton bougon ce qu’elle désirait savoir.

« Bien sûr, Rosa. Sinon pourquoi je me vautrerai ainsi sur toi et tenterai de te déshabiller dès que je te vois ? »

C’est vrai que les mains sous le t-shirt de Rosa, ce n’était pas anodin. Pour le jeune homme, l’amour charnel était sa plus grande preuve d’attachement. Cela voulait dire qu’elle lui plaisait. Et en plus, sa façon d’être lui plaisait énormément. Que demander de plus ? Une phrase, une simple phrase. Allez, il lui devait bien cela. Citlãlin défit ses mains d’autour de la taille de Rosa, et, à quatre pattes pour toujours être à sa hauteur, il approcha son visage de celui de la blonde. Il lui lécha le bout du nez, puis les lèvres.

« Je t’aime. »

Comme il n’avait aimé personne. Son désir de la réduire en morceaux était si fort… celui de la mordre jusqu’au sang plus intense que jamais. Mais le gangsta savait qu’il ne pouvait pas faire cela, que cela ne lui ferait rien, que tout ce qu’il tenterait sera bien inutile. De nouveau, Citlãlin glissa une de ses mains sous le t-shirt de Rosa et remonta lentement sur ses flancs, s’arrêtant juste sous sa poitrine. Il n’y avait pas de poumons qui se gonflaient ni de cœur qui battaient dans cette cage thoracique, mais bien de la chair et des os. Ca lui suffisait. Citlãlin ne mangeait pas le souffle ou la vie, mais bien la chair et rongeait les os.

« Je t’ai-meuh. »

Les syllabes étaient décrochées les unes des autres, appuyées plus qu’il n’en faut. Sa main remonta encore alors qu’il tendit le cou pour de nouveau l’embrasser. Comment avait-il pu douter de sa sincérité ? Et elle, de la sienne ? C’était comme ça, ils s’aimaient. L’amour, c’est un gros doute, et ils devraient s’y faire. On ne sait jamais qui aime plus l’autre et si l’autre aime toujours l’autre… Citlãlin était prêt à répéter encore et encore cette même phrase, si cela la faisait sourire. Et si cela pouvait la rassurer, en prime. C’est vrai qu’elle pouvait douter de lui. C’était le genre d’homme qu’on ne présentait pas à ses parents.

[court et nul comparé au temps d'attente, mais je me rattraperai !]

A ce moment là plus qu'à tout autre Rosa souhaitait être vivante. Elle aurait tout donné pour sentir son coeur battre à toute allure, son souffle devenir plus court, comme si elle suffoquait. Elle aurait aimé sentir la chaleur de son sang qui battait dans ses veines, elle aurait aimé sentir sa poitrine exploser. Mais l'annonce de Citlãlin, sa déclaration, ses simples mots, ne produisait pas du tout l'effet qu'elle aurait produit chez un humain. Cela n'avait rien de détestable au contraire, mais Rosa aurait aimé ressentir tout ça. Comme cela a été prouvé par nombre de scientifiques, ce n'est pas le coeur qui ressent, mais le cerveau. Tout se passe au niveau cérébral. N'était elle pas d'ailleurs capable d'aimer ? Seulement, l'explosion de sentiments qui se produisait d'ordinaire dans le coeur n'avait chez Rosa pas ce chemin dans ses possibilités. Alors, tout sembla exploser dans chaque cellule de sa peau. Elle crut étouffer, son souffle resta calme. Elle crut s'évanouir, elle resta de marbre. Mais elle fut prise d'une soudaine et violente frustration qu'elle essaya de contenir. C'était à la fois horrible et merveilleux. Incroyable.

Elle étendit lentement les bras vers Citlãlin puis passa le gauche derrière ses épaules, le droit plié dans son dos, sa main droite dans les courts cheveux du jeune homme. Elle s'approcha de lui son visage frôlant le sien, leurs souffles se mélangeant, arôme de café et de chocolat qui n'avait rien d'écœurant. Elle l'embrassa à nouveau, un peu plus calme qu'elle ne l'aurait voulu, retirant plusieurs fois ses lèvres pour mieux l'embrasser. Elle le serra un peu plus fort contre elle, sentant ses mains contre elle, brûlante. Ce qui comptait pour elle autant que le sentiment amoureux était le désir. Or il y avait des moments où l'un surpassait l'autre. Elle était dans un de ses moments là.

Elle s'écarta, cherchant des mots à mettre sur ce qu'elle pensait, voulant pouvoir lui dire ce qu'elle n'arrivait pas exprimer. Rosa resta en plan comme ça, à articuler des mots qui ne voulaient pas sortir. Elle qui d'ordinaire avait plus d'assurance qu'il en aurait fallu, elle ne parvenait plus à rien faire, complètement désarmée. Elle resta ainsi, les jambes écartées sur le sol, se tordant les mains, comme une poupée aux longs cils, dans une chambre d'enfant.

"J-je voudrais simplement te dire q-que..."

Les mots restaient coincés derrière ses dents. Impossible à dire. elle ne savait même pas ce qu'elle comptait lui dire. Qu'elle l'aimait ? Non. Trop banal. Trop utilisé. Trop usé. Cela ne suffisait pas. Rosa abandonna, se sentant stupide et frustrée. Mais cela n'entachait pas le merveilleux sentiment qu'elle ressentait.

"Laisse tomber"

Dit-elle en s'approchant à nouveau de Citlãlin.

[C'est déjà merveilleux que tu répondes ♥]

C’était une pluie de mille petits baisers mouillés qui tombaient sur lui. C’était mille petits pétales de roses fraîches qui l’effleuraient. C’était les lèvres de Rosa qui touchaient les siennes. C’était mille fois mieux qu’il ne l’aurait imaginé. Citlãlin se laissa faire, espèce de gros ours dont le miel était des baisers, tout doux et gentils. Rosa le serrait à presque lui faire mal, et Citlãlin passa ses mains autour de sa taille, toujours glissées sous le haut de la demoiselle, pour sceller leur union. Et éviter qu’elle ne parte, elle et ses petits baisers. Sa peau ne frissonnait pas comme il le voulait, n’était pas chaude comme il aurait aimé, mais était si lisse qu’on aurait dit de la soie et si souple qu’il avait peur de la froisser. C’était d’autres sensations, d’autres pensées, d’autres envies. Citlãlin voulait encore qu’elle l’embrasse, toujours, encore. L’homme ne voulait pas la brusquer, lui faire mal alors qu’il savait qu’il ne pouvait pas. Un mort ne souffre pas… Mais a ses doutes. Elle le repoussa, éloignant leurs deux visages. Citlãlin, qui alors souriait, prit un air déboussolé, avec ses grands yeux écarquillés et sa moue boudeuse. Que se passait-il ? Qu’avait-elle, pourquoi bégayait-elle ? Etait-il allé trop vite ? Trop loin, trop fort ? Il se rassit sur ses talons, contenant la douleur de son pied et coinça ses mains baladeuses entre ses cuisses. Elle était rouge comme une pivoine, semblait tout aussi gênée que lui. De l’avoir repoussé ou de ce qu’il avait fait ? Peut-être avait-elle un petit ami sur l’île, un homme qui malgré le fait qu’elle soit morte l’avait acceptée, tout comme lui l’avait fait. C’était possible ! Sûrement était-elle là depuis un moment, comme tant d’habitants ! Et lui n’était qu’un oubli, une erreur, une espèce de tentation à laquelle elle avait du mal à résister, mais elle voulait rester fidèle ? C’était quoi, quoi donc ? Sûrement Citlãlin avait trop regardé les feuilletons à l’eau de rose à la télévision, car dans sa tête commençait à se mettre en place d’étranges idées. La demoiselle finit par arriver à dire quelques mots sans bégayer, puis s’approcha de nouveau de Citlãlin. Qui tourna la tête, l’air bougon.

Ah, la voilà qui revenait ! Certainement dans sa tête machiavélique de jolie blonde s’était élaboré des plans bien étranges que Citlãlin crut entrevoir. Comme il était souvent cloîtré dans sa chambre et qu’ils se croisaient peu, certainement pensait-elle mener une double liaison… Le gangsta avait déjà eu des liaisons de ce genre, et cela n’avait jamais plu aux femmes qu’il côtoyait. A présent qu’il était dans leur position, il les comprenait… Ce n’était pas lui, la roue de secours ! Le damoiseau n’avait pas conscience qu’il se trompait complètement, qu’il délirait entièrement. Surdose de chocolat certainement. Sur un ton particulièrement désagréable, l’individu à l’imagination fertile brisa le silence.

« C’est lui ou moi, pas les deux. »

Citlãlin croisa les bras sous sa poitrine et releva le menton, fuyant toujours le regard de Rosa. Si il la regardait, il faiblirait, c’était inévitable. Une colombe, juste en se posant dessus, pouvait se faire effondrer un solide mur.

« T’es déjà avec quelqu’un, c’est ça ? »

Il la regarda, dans un moment où sa gourmandise l’emporta sur le reste de son être. Ces yeux clairs comme de l’eau, ses longs cheveux blés, sa peau si pâle ! C’est bon, il avait perdu.

« Où il est que j’lui pète sa gueule ? »

Ah, c’était glamour, sérieux, Citlãlin quoi. Il avait frappé son poing contre la paume de son autre main pour mimer ses dires, et il semblait tout, sauf intimidant avec sa grimace bizarre. Sourcils froncés, bouche de travers, yeux exorbités. C’est qu’il avait envie de la faire rire un peu. Pour être le plus beau, le plus fort, le plus drôle si vraiment il y avait un autre homme dans sa vie. C’est que bien que cela soit dit en rigolant, Citlãlin était sérieux. Juste un peu, ne lui en demandons pas trop.

[Parle pour toi ♥. Pardon pour le retard >.<]

Rosa resta interloquée dés les premières paroles de Citlãlin. De quel "lui" et de quel deuxième voulait il parler ? Le fantôme afficha une mine à la fois perplexe et anxieuse. Avait-elle fait quelque chose qui l'ait fait douté ? Et en même temps, elle se demandait ce qui avait pu provoquer cette réaction. Certes, de son vivant sur l'île elle était tombée sous le charme de deux ou trois garçons... Nick, il est vrai avait beaucoup attiré son attention, mais... Mais Citlãlin ne le connaissait pas, donc... Non, non Rosa ne voyait pas. Depuis qu'elle avait rencontré le jeune homme, il éclipsait de loin tous les autres. Non elle n'était pas "déjà" avec quelqu'un. Quelle drôle d'idée ! Elle s'apprêtait à le lui faire remarquer, quand il enchaîna sur une nouvelle réplique, lui coupant la parole. Et là, Rosa, malgré tout son sérieux ne put s'empêcher d'avoir un minuscule, insignifiant éclat de rire. Cela avait été plus fort qu'elle. Mais la mimique de Citlãlin était juste tout simplement irrésistible. Elle pouffa, ses épaules tressautant. Se demandant vaguement s'il allait être vexé. Elle baissa la tête, se cacha derrière un rideau de cheveux blonds, espérant se calmer.

Une fois ses hoquets éteints, son rire feutré éloigné, elle releva la tête vers le jeune homme et repartit dans son rire silencieux. Elle essayait d'éloigner l'image du visage comique de Citlãlin pour se concentrer sur ce qu'il avait dit. L'un dans l'autre c'était plutôt flatteur, pensa-t-elle... Après tout il l'estimait assez attirante pour avoir un autre éventuel amant, et surtout, n'hésiterait pas à se battre pour elle. Rosa ne pouvait s'empêcher de se sentir complimentée. Étranges connexions que peut faire le cerveau des filles... Ou en tout cas le cerveau de Rosa. Elle essaya de se ressaisir, et y parvint assez bien.

Elle releva le menton pour regarder Citlãlin dans les yeux, rien que dans les yeux où elle risquait de rire encore. Rosa voulait le rassurer, lui dire qu'il se faisait des idées, qu'il n'y avait que lui, rien que lui, personne d'autre. Mais les mots sortirent autrement qu'elle ne l'aurait voulu, moins romantiques et moins délicats :

"T'es bête, Citlãlin, je ne sais pas où tu vas chercher tout ça..."

Elle approcha son visage à nouveau, voulant s'imprégner de tout son être, lui insuffler le bonheur et la confiance qu'elle avait en l'instant présent. Elle murmura, enjôleuse sans le vouloir :

"Tu me fais confiance, n'est-ce pas ?"

Elle saisit son visage entre ses mains. Ses yeux bleus s'ouvraient un peu plus grands, brillant de sincérité, car elle se sentait tout à fait incapable de mentir ou d'enjoliver ne serait-ce qu'une poussière de la vérité.

"Je n'aime que toi."

Ce n'était pas suffisant, songea-y-elle, car oui, certaines femmes pouvaient avoir des amants tout en aimant l'homme trompé. Cela n'était sans doute pas assez plein, pas assez convaincant, pas assez vrai, aussi.

"Je ne désire que toi. Je ne veux que toi. Je ne veux être qu'à toi. Et d'ailleurs je n'ai besoin que de toi. Et personne d'autre, ajouta-t-elle en détachant les syllabes."

Elle s'approcha de sa bouche, l'embrassant encore et encore, elle savait qu'elle ne pourrait pas s'en lasser. C'était trop agréable pour qu'elle veuille se retenir ou s'arrêter. Trop tout, en fait. Elle s'interrompit pour finir par une minuscule petite question :

"Cela te suffit ?"

Elle se mit à rire, enfonçant un peu plus Citlãlin dans sa bêtise. Il resta là, face à elle, attendant qu’elle se calme. Au moins, il la faisait rire, comme il l’avait espéré. Ou elle se moquait de lui ? Non, impossible. Elle semblait ne pas arriver à se calmer, retenant comme elle pouvait ses rires, ses épaules tressautant. Lorsqu’elle planta ses yeux bleus dans ses yeux verts, il y lut une malice incompréhensible, y vu un éclat de rire. Citlãlin avait toujours les sourcils froncés, attendant une quelconque réponse, mais Rosa se remit à rire. Il commença à paniquer. Qu’est-ce qui était si drôle, finalement ? Ses gestes, ses paroles, les deux ? Le fait qu’il croyait être le seul ou le fait qu’il croyait ne pas être le seul ? Tu es bête, Citlãlin. Merci, j’avais remarqué. Pour qu’elle se mette à rire de bon cœur, c’est qu’il avait dû paraître sacrément idiot. Mais il n’eut pas le temps de répliquer qu’elle s’approcha de lui, faisant s’envoler à lui toute envie d’être un peu méchant. Comme une sirène envoûtant un marin. Quelques mots suffirent, quelques simples mots. Tu me fais confiance, n'est-ce pas ? Comment dire non, c’était si bien dit, sur un ton câlin qui présageait des étreintes magnifiques.

« Oui… »

Un souffle, un mot, qui lui échappa, comme si il était hypnotisé. Oui, oui à tout, oui à ce qu’elle voulait. Elle avait posé ses mains sur son visage, le ligotant un peu plus. A présent il ne pouvait plus fuir son regard chaud et lumineux, comme ses paroles. A chaque fois qu’elle lui disait qu’elle l’aimait, cela avait une autre saveur. Toujours cela semblait meilleur que l’autre fois et il s’en délectait, en voulait plus, toujours plus. Que lui, rien que pour lui, rien qu’à lui. Il était convaincu, ensorcelé par cette sorcière qui avait tout d’une fée. Rosa l’embrassa, il sembla fondre. De nouveau à quatre pattes, il n’avait que ses lèvres pour lui répondre. Ses yeux se fermèrent, pour oublier qu’ils étaient dans une cuisine et non pas sur un nuage. Étais-ce vraiment ça, l’amour ? Devenir tellement bête et se laisser mener par une femme qui vous promet en récompense des baisers ? Le baiser vint à sa fin et Citlãlin eut l’impression qu’il avait juste eut le temps de commencer. Pourtant, il était essoufflé, émoustillé et dérouté. Cela ne lui suffisait pas non ! Comme si elle l’avait vidé de toute son énergie, Citlãlin posa sa tête dans le creux du cou de Rosa et s’appuya sur elle. Il tremblait, comme si il allait s’effondrer. Le jeune homme passa un de ses bras autour de la taille de Rosa et sa main s’accrocha au tissu de son t-shirt, le froissant. Ah, il voulait l’avoir toute entière, la manger, la dévorer, planter ses dents,s es ongles dans sa chair et s’en repaître, qu’elle soit à lui, rien qu’à lui, la manger, la finir… Sa bouche s’ouvrit, mais pas pour l’embrasser. Avec sa force de carnassier, il tenta de lui arracher ce morceau de chair si tendre, si dure… Sa peau était comme de la pierre, du caoutchouc, il n’arrivait pas à la percer, même en y mettant toute sa force. Pas une goutte de sang, pas ce goût de fer dans sa bouche ni ce liquide rouge qui coule… Pas de plaie, pas de marque. Citlãlin semblait avoir perdu pied, redevenait celui qu’il était avant, celui qui aimait jusqu’à vouloir dépecer pour pouvoir caresser jusque les entrailles de celle qu’il aime, ce plaisir malsain auquel il ne pouvait résister. Son amour cruel. Sa deuxième main se glissa dans le dos de Rosa, sembla vouloir la griffer en une violente caresse mais ne purent pas même laisser de rayure sur sa douce peau. Voyant que c’était vain, le brun fit remonter sa bouche jusqu’à l’oreille de Rosa et lui susurra quelques mots, aussi doux que ses gestes.

« Non, ça ne me suffit pas… »

Une voix pleine de haine, provocatrice, détestable. Le Citlãlin de la plage qui écrasait des méduses, qu’il l’avait envoyée bouler. L’homme se sentait frustré de ne pouvoir la blesser, qu’elle ne crie pas, ne gémisse pas, lui supplie d’arrêter. Qu’elle ne puisse ressentir pas même un centième de sa passion antipathique. C’était sa façon à lui de s’exprimer, de faire comprendre qu’il désirait laisser à tout jamais sa marque sur elle. Il se recula, pour pouvoir la regarder dans les yeux. Sa Rosa… Ses yeux d’émeraude ressemblaient aux éclats de verre étalés par terre.

« J’aimerais te faire du mal… Te blesser pour savoir jusqu’où ton amour peut aller pour moi. »

D’une de ses grande main, main d’ogre, il caressa son visage, mais tremblant toujours, il semblait gauche, inexpérimenté. La tête penchée sur le côté l’homme contempla le visage de son aimée, se demandant à quoi il pouvait bien ressembler, pétrifié dans la douleur.

Rosa nageait dans le bonheur total, sans se rendre compte des intentions de Citlãlin. Ce qui était en soit assez logique, car malgré son trépas, la jeune femme n'était pas encore capable de lire dans les pensées. Logique, donc. Toujours était-il qu'elle était juste superbement heureuse, dans les bras du jeune homme. Elle sentait son souffle court, aimait leur étreinte de plus en plus violente. Quand les dents de Citlãlin voulurent s'enfoncer dans sa chair morte, Rosa ne sentit pas le tranchant de ses incisives ou la pointe de ses canines. Pour elle, cela n'était qu'un effleurement, et s'il n'était pas doux, il n'était pas non plus douloureux. Toutefois le contact était assez précis pour que Rosa devine ce qu'était en train de fabriquer Citlãlin. Cela ne l'étonna pas tellement. Elle commençait à s'accoutumer au caractère étrange et fascinant du jeune homme. Et de toute manière elle était morte. Peut-être était-ce un moyen pour lui de la toucher plus profondément. Elle sentit la force de ses doigts, la délicatesse de ses ongles, mais sa peau ne s'en irrita pas pour autant. Les mots de Citlãlin, s'ils avaient été prononcé sur un autre ton, aurait pu simplement passé pour l'expression du désir charnel. Malheureusement, ce ton n'avait rien de tendre ou de passionné. Enfin, passionné, oui, mais pas tellement dans le bon sens. Rosa ne comprenait pas. Elle n'avait pas peur. Quand on est mort, on a plus peur de grand chose, au final.

Quand il continua, la frayeur ne la prit même pas. Tout d'abord parce qu'il existait des gens aux tendances masochistes. Ensuite, simplement parce que Rosa était navrée. Navrée que son inhumanité soit encore et toujours un problème. Navrée aussi que Citlãlin ait besoin d'une preuve de plus. Soudain, Rosa eut une illumination. Il avait dit avoir tuée son ex copine. Etait-ce pour mettre à l'épreuve son amour ? Etait-ce aller trop loin ? Une fois encore, cela ne choqua pas Rosa. Aveuglée par ses sentiments, et rendue subjective par sa mort, la jeune femme se fichait bien de ce qui avait été dans le passé. Seul comptait le présent. Puisque Rosa n'avait pas d'avenir... Elle resta droite, laissant Citlãlin caresser son visage. Elle ne trouva pas mieux que de s'excuser. S'excuser d'être morte. Quelle absurdité !

"Pardon... Pardonne-moi. J'aurais tellement aimé pouvoir te combler."

Pourrait elle jamais le faire ? C'était une question dans la réponse restait inconcevable pour Rosa. Cependant elle avait une preuve d'amour. Une ultime preuve, en fait. Quelque chose d'incroyable, de fantastique, dans le sens où cela n'avait pas eu de précédent, car, oui, après tout :

"Je t'aime à travers la mort. N'est-ce pas assez loin ? Je suis déjà arrivée à l'endroit où tu voulais me mener."

Elle se pencha vers lui, posant sa main sur la sienne, celle qui était encore sur son visage, approcha ses lèvres des siennes, plongeant son regard dans le sien, ses yeux devenant flous tant ils étaient prés. Avant de l'embrasser, elle ajouta dans un souffle :

"Tu embrasses une morte, Citlãlin. Une morte qui t'aime."

Il lui avait suffit de quelques mots. Quelques mots qui l'avaient rassuré, un geste qui l'avait apaisé, un regard l'avait anesthésié. Un baiser l'avait amadoué. Rosa était une véritable magicienne, pour l'avoir réduit à cette état de zombie qui à présent, la suivrait partout où elle irait. Évidemment, sur cette petite île, qui suivre d'autre que Rosa, celle qui l'avait trouvé, poussé, amené, aimé ? Celle qu'il avait haï, détesté, frappé, voulu tuer ? Sa mains sur sa joue, sentir son corps près du sien, ses lèvres contre les sienne, avait-il vraiment besoin de voir son sang, sa chair, ses os, de la disséquer comme une souris ? Elle était morte, oui. Un mystère qu'il ne pouvait ouvrir pour voir la couleur de son sang, l'élasticité de sa chair et la dureté de ses os. Il ne pouvait se nourrir d'elle, et de cette frustration naissait d'autres désir. Il fallait trouver une solution. Pour Citlãlin, l'amour, c'était le désir intellectuel, charnel et nourricier. Il se nourrissait de Rosa. Ne pourrait vivre sans quelqu'un qui l'aime, qui le prenne dans ses bras. C'était si rare que quelqu'un lui porte tant d'intérêt ! Quelqu'un près de lui pour pleurer quand il pleurait ou sur qui crier quand il en avait envie. Et qui jamais ne se braquait, ne le repoussait ou ne lui en voulait. Rosa le comprenait. Elle était la mère qu'il n'avait jamais eu, la femme qu'il voulait, la fille qu'il désirait avoir. Quelqu'un en mesure d'être sa camisole sans lui faire mal pour autant. d'être sa moitié. Une morte qui l'aime. Elle l'embrassa, sans qu'il n'oppose de résistance. C'était si bon, si doux ! Comme du lait, de la glace, de la crème, de la chantilly...

Chantilly ? La manger ? Une idée venait enfin de germer dans l'esprit de Citlãlin. Il sourit, lui lécha les lèvres. Citlãlin était convaincu par ce qu'avait dit Rosa, complètement. Il ne pouvait pas la manger et elle en était bien désolée ? Oh, elle pourra bien vite se rattraper. C'est le matin, et l'ours sorti d'hibernation avait grand appétit.

"Oh, ce n'est pas grave... Tu vas pouvoir te rattraper."

En un baiser sauvage et bref, Citlãlin mordit la lèvre inférieur de Rosa, de toute ses forces encore une fois, profitant d'avoir sous sa patte une femme en caoutchouc qui ne broncherait pas si il tentait de lui arracher un morceau de chair comme un adorable T-Rex empli d'un sadique amour pour celle qui avait réussi à le dresser. Sans fouet, lanières ou autre. Avec des caresses, des mots et des baisers. Le damoiseau se leva péniblement, son pied le faisant souffrir. Il fallait qu'il enlève le tissu avec lequel Rosa avait bandé son pied, ou il allait finir par se coller et l'enlever serait un calvaire... Et oh, misère, il allait devoir recoudre tout cela. Le gangsta avait déjà fait cela et supportait la douleur tant bien que mal. Après avoir ôté le torchon de son pied, le damoiseau reprit la parole. A présent, il allait tester la blonde, tenter de mieux la connaître, de mieux la comprendre, et surtout de remplir son estomac.

"Rosa, range le bordel que j'ai fait, je reviens."

Quelque chose l'arrêta. Elle était morte, et n'avait pas besoin de manger. Tant pis, il ferait en sorte qu'au moins cela l'amuse. Alors qu'il marchait vers la sortie en boitillant, il se retourna, et avec un clin d'œil s'adressa à sa bien-aimée avant de disparaître dans l'embrasure de la porte.

"Sors-moi une poêle, des fruits si tu en trouves, du miel et coupe les fruits en morceaux le temps que je revienne."

Et hop, il disparut en grognant. C'est qu'il avait faim. Mais au moins, il était à présent certain que Rosa l'aimait.

Rosa profita du baiser que lui offrait Citlãlin, bien qu'il fut bref. Mais il était fait d'une manière si violente que le fantôme en ressentait la force. Une force si agréable. Que malgré sa mort elle pouvait ressentir. Rien était douloureux, rien n'était meurtrissant, tout était enjôleur et caressant. Elle se mordit la lèvre inférieur tandis que le jeune homme se relevait, histoire de sentir cette trace le plus longtemps possible. Elle resta ainsi, assise sur ses talons, ses mains s'appuyant sur le carrelage. Elle aurait bien aimé qu'il ne bouge pas. Qu'ils restent ainsi longtemps. Indéfiniment. Elle contempla devant elle une flaque de lumière, qui ne l'éblouissait même pas. Elle réfléchissait à ce que Citlãlin avait dit. Il existait une manière de se rattraper ? Comment était-ce possible ? Elle fut interrompue dans ses réflexions par l'apostrophe de Citlãlin. Elle retrouva une seconde son humanité, quittant sa grâce d'outre-tombe, pour répliquer par un inélégant :

"Hein ?"

Rosa se releva, tandis qu'il s'éloignait vers la sortie de la cuisine. Elle avait cru à un ordre mais lorsqu'elle le vit lui adresser un clin d'œil, la jeune femme ne put s'empêcher de lui sourire en réponse. Quelle drôle de sensation quand elle lui souriait. Quelque chose que Rosa ne s'expliquait pas. Il était aussi naturel de lui sourire que de respirer. Par contre elle ne compris pas à quoi rimait le manège que lui proposait Citlãlin. Elle s'avança également vers l'embrasure de la porte tandis qu'il la quittait :

"Citlãlin, attends !"

Il s'était déjà évaporé. Rosa soupira et contempla la cuisine en se retournant. Elle rangea rapidement "le bordel", comme il l'avait dit, qu'ils avaient créer à eux deux. La jeune femme sourit. S'il n'y avait que dans la cuisine que leur rencontre avait fait du "bordel"... Elle s'appuya sur la table de la cuisine, passa une main dans ses cheveux soyeux, se remémorant les consignes de Citlãlin. Une poêle, des fruits, du miel... A priori, Rosa savait où trouver tout ça. S'accroupissant devant un placard, elle sortit ladite poêle, la posa sur les plaque chauffante sans les allumer, puis s'empara de la corbeille de fruits, posée sur le comptoir. Il lui fallait une planche à découper et un couteau. Elle sortit tout ce matériel avec rapidité, puis saisit une pomme. Rosa se souvenait qu'elle aimait les pommes quand elle était toute petite. Son père lui en offrait dans des petits paniers, accompagnées d'une rose. "Pour ma Rosa", disait-il. Une petite larme, pas vraiment triste s'échappa de son oeil droit pour éclater sur la peau dure de la pomme lorsqu'elle réalisa qu'elle ne le reverrait jamais.

Elle coupa d'abord la pomme en deux, puis appuya le côté plane sur la planche, entamant la pomme, brisant sa rondeur, histoire de tracer des cubes. Plus agile que jamais, n'ayant pas peur de se couper, elle termina rapidement la première pomme. Ne résistant pas à la tentation, elle saisit un des petits cubes et le gouta. Il avait un goût plus sucré et plus fruité que dans ses rêves. Il lui semblait qu'il y avait un petit pétillement en plus sur l'arrière de son palais. Souriant de pouvoir goûter encore aux fruits, elle continua sa besogne, saisissant pommes, pêches et autres fruits. Le jus coulait sur ses doigts, parfois même jusqu'à son coude, mais elle s'en fichait. Elle humait à plein nez la peau des fruits, se délectant de leur odeur d'été ou de printemps.

Une fois qu'elle eut terminé de découper une quantité conséquente de fruits, elle s'accouda à la table, posant le menton sur sa main poisseuse, attendant Citlãlin, rêveuse.

[Pas terrible >.<]

[Et moi j'ai du retard, pardon x)]

Il ne répondit pas et n’attendit pas quand Rosa le lui demanda, déjà occupé à gravir les marches de l’escalier pour rejoindre sa chambre, pestant contre son pied qui saignait toujours. Quiconque passerait par ici penserait à un meurtre, vu les gouttes de sang qu’il semait sur son passage. Pas grave, quelqu’un finira bien par laver. Certainement pas lui, certes. Agitant son pied devant une porte inconnue, histoire de brouiller les pistes pour que personne ne pense que c’était lui, puis clopinant jusqu’à sa chambre en évitant de laisser goutter son sang, il y entra et se vautra sur son lit, enfin heureux de pouvoir laisser éclater sa souffrance. Son visage caché dans ses couvertures, il hurla mais le bruit fut étouffé par l’édredon alors que l’homme agitait violemment ses jambes. Et le pire était à venir. Recoudre. Mais il devait faire vite,e t sembler solide, allez ! Pour Rosa, qui l’attendait dans la cuisine ! Tout d’abord Citlãlin rinça son pied avec de l’alcool, heureux de posséder de quoi se guérir dans sa chambre. Le brun se blessait si souvent. Farfouillant un instant dans la boîte en métal qui lui servait de pharmacie et en extirpa une petite bobine de fil vert, un peu plus épais et dur que le fil habituel, ainsi qu’une aiguille incurvée, formant presque un cercle. Citlãlin était en ce moment même la victime et l’ogre barbare qui à vif, allait recoudre une plaie. Une plaie située dans un endroit délicat du corps humain, bourré de nerfs, qui sent tout. Après une jérémiade de mots grossiers, une prière à Dieu et une malédiction, le voilà qui enfonce promptement l’aiguille dans sa chair tendue. Le gangsta serre les dents, très fort. Il sent le fil passer dans sa peau trouée, sa chair se soulever, il souffle, éructe, a l’impression qu’il va mourir. Un de fait, il en faut encore… deux minimum. Conscient que plus le temps passerait plus cela lui semblera difficile, Citlãlin s’attaque directement au second point, fais un nœud, coupe d’une main tremblante le fil et se concentre sur le troisième. Le brun déglutit. Sa main n’est pas sûre, tremble, l’aiguille, mal tenue, s’enfonce difficilement dans la chair, l’entement. Les yeux fermés, d’un geste machinal Citlãlin finalise sa boucherie. Il y a eu peu de sang, mais beaucoup de douleur. Ca, Rosa le lui paiera bien un jour ! C’était de sa faute si il s’était blessé. Le damoiseau rince une dernière fois son pied, le bande bien, attachant le bandage à la cheville et mets une paire de chaussettes pour le maintenir. Repoussant les outils de torture d’une main, il se redresse. Le miroir face à lui renvoie l’image d’un homme blême, le front en sueur et els joues couvertes de larmes. Combien de temps avait-il mit ? Cela lui avait paru une éternité… Passant son visage sous l’eau froide, Citlãlin reprit ensuite le chemin inverse, redescendant. Inspirer, expirer, l’entement. Pour que plus aucun trouble n’apparaisse sur son visage. Allons donc, il était fort ! Assez pleuré !

Citlãlin se faufila par la porte laissée entrouverte, surprenant une Rosa accoudée à la table, qui semblait avoir fini de découper en petits cubes quelques fruits. Sans faire de bruit, furtif l’homme se plaqua contre le dos de la demoiselle et mit ses larges mains sur les rondes hanches de Rosa.

« Tu as fait du bon boulot, dis-donc… »

Son regard gourmand se posa sur les fruits, puis voyant les mains dégoulinantes de jus de la morte, l’étrange individu ne put s’empêcher de saisir entre ses lèvres deux doigts de la beauté, les léchant, yeux à demi clos, poussant l’érotisme jusqu’à remonter ses mains sur la poitrine de Rosa, la plaquant le mieux qu’il pouvait contre lui. Sa façon à lui de tenter, dans cette douceur sauvage, d’oublier ce qu’il venait de subir. Il avait l’air encore un peu hagard, ailleurs d’ailleurs. Un peu fatigué. Mais Citlãlin n’avait pas connaissance qu’un médecin ou un hôpital se trouvait sur cette île. Et avait toujours préféré s’occuper de lui tout seul. Aussi vite qu’il avait surgi, Citlãlin défit son étreinte et alluma les plaques chauffantes, saisissant la poêle, l’apportant sur la table et y déposant les morceaux de fruits qu’il prenait à même la main. Peut-être que Rosa ne le percevait pas, mais il se jouait d’elle, s’approchant d’elle puis s’éloignant rapidement pour ne pas lui laisser le temps de le saisir de nouveau. Comme un chat joue avec un morceau de laine… Ou une souris. L’abricot, sous ses doigts était mou, peut-être un peu trop mûr, certainement très sucré… Il en saisit un morceau, le goûta, l’air pensif. Pendant sa jeunesse, laissé seul à lui-même, l’homme avait dû apprendre à cuisiner avec ce qu’il trouvait. Et on ne lui laissait jamais guère autre chose que quelques vieux fruits. Repartant avec sa poêle pour la mettre sur le feu, Citlãlin faisait comme si Rosa n’était pas là. Juste pour voir comment elle allait réagir. S’enfermer dans une profonde déception devant ses changements improbables, ou venir le taquiner ?

[Pardon du retard >.<]

Alors que Rosa espérait que les choses aillent encore un peu plus loin, Citlãlin s'écarta d'elle sans aucune pitié. Au début, le jeune fantôme en resta pantelante. Elle trouvait ça horriblement frustrant. Elle se crispa quelques secondes puis ses épaules s'affaissèrent tandis qu'elle soufflait avec une sorte d'ironie. Allons bon elle voulait rester dans ce tout plein de légèreté, pas la peine de se vexer, de se renfrogner ou de bouder. Et puis le petit jeu de Citlãlin n'était pas si désagréable au fond. Tandis qu'il lui tournait le dos, elle le regarda avec un sourire rêveur mais aussi légèrement carnassier. Un contraste étrange mais pas forcément incohérent. Elle le laissa aller et venir quelques instants, sans bouger, pour ne pas montrer immédiatement qu'elle allait entrer dans son jeu. Et puis, songea-t-elle avec un sourire moqueur, mieux valait attendre qu'il ait posé sa poêle, qui savait ou le petit jeu aboutirait ? Elle attendit donc encore un peu, puis s'approcha de lui, avec autant de délicatesse et de sensualité qu'un chat, se glissant d'un pas feutré devant lui.

Elle n'avait pas encore user de sa nouvelle force avec Citlãlin, mais bon, tant qu'elle l'utilisait avec parcimonie, cela n'avait rien de malsain. Elle posa donc délicatement une main sur le côté gauche du bassin de Citlãlin et l'autre sur son épaule droite, l'immobilisant en toute douceur, mais avec fermeté. Son sourire, bien qu'il fut légèrement plus désireux qu'à l'ordinaire ne pouvait se départir d'une certaine tendresse. Elle fit glisser la main qui était sur son épaule jusqu'à la nuque du jeune homme, attirant irrésistiblement le visage de Citlãlin vers le sien, tandis que sa main droite passait dans son dos. Elle se pencha vers ses lèvres, baissant les yeux sur sa bouche, respirant son odeur, effleurant son nez de l'arête du sien. Elle se retint cependant de l'embrasser. Elle se contenta de lui dire tout bas :

"Oui, j'ai fait du bon boulot..."

Elle plongea soudain son regard dans le sien, provocante, un demi sourire étirant le coin gauche de ses lèvres et creusant une fossette dans sa joue pâle. Ses doigts retenait toujours Citlãlin aussi sûrement que l'eussent fait des chaînes. Sa main gauche glissa de la nuque du jeune homme jusqu'à son torse, et elle se colla contre lui sans une once de pudeur, sentant les reliefs de son corps contre le sien, avant de s'éloigner de quelques centimètres, gardant cependant son visage proche du sien. Elle effleura ses lèvres des siennes, respirant un peu plus fort. Son coeur aurait battu si fort, s'il n'était pas mort. Et elle regretta qu'il le fut. Elle glissa donc sa main contre le coeur du jeune homme, cherchant de ses doigts la pulsation du muscle vital de l'homme.

"Je mérite un salaire, non ?"

Elle leva ses grands yeux bleus vers lui, le défiant de vouloir lui échapper. Comme elle ne voulait pas lui laisser une seule chance, Rosa se blottit à nouveau contre lui, se dressant sur la pointe des pieds pour mettre leurs bassins au même niveau, caressant du bout de ses doigts le dos et la joue de Citlãlin, et insista :

"Non ?"